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Les écrivains / adhérents

Youssef Amghar

Roman
photo Youssef Amghar

J’ai commencé à écrire très jeune, je crois dès l’âge de 11 ou 12 ans. J’avais lu Croc-blanc de Jack London, et ça m’avait donné envie d’écrire. J’ai commencé par écrire de la poésie, d’ailleurs j’en écris toujours. Je crois même que c’est mon médium principal. J’ai, ensuite, beaucoup entamé de romans ou de récits qui ont avorté avant de pouvoir publier. Quand j’ai eu mon bac, je suis venu en France pour étudier l’architecture que j’ai vite abandonnée pour m’inscrire en licence ès lettres modernes de Paris XIII.
Ce qui m’intéresse particulièrement ce sont les grands déplacements de populations. C’est une chose qui me fascine. Comment cela se fait-il qu’on en arrive à quitter son environnement, l’espace de vie où on a grandi, dont on maîtrise les codes sociaux et les substrats culturels, pour aller vers une aventure dont on ne connaît ni les tenants ni les aboutissants. Cela m’interpelle, m’interroge et inspire mes écrits. C’est le thème principal de mes romans publiés.

http://www.amgharyoussef.com
Bibliographie

- Il était parti dans la nuit, L'Harmattan, 2004
- Le Vieux Palmier, L'Harmattan, 2006

Extraits

Extraits de Il était parti dans la nuit

La dédicace :
« À tous ceux qui sont morts anonymement, quelque part entre des vagues ouvertes et des terres fermées. »

Extrait 1
« Il était parti dans la nuit. Je l’ai accompagné jusqu’à la gare. On s’est embrassé, je lui ai souhaité bon voyage et il s’est engouffré dans le train.
Apparemment il était soulagé. Il voulait partir depuis longtemps. Il ne pensait plus qu’à ça. Il était presque heureux de laisser derrière lui cette ville qui l’avait vu naître. Cette ville où il n’avait plus de place. Cette ville qui l’emprisonnait finalement, comme elle nous emprisonne tous. Je ne peux pas dire qu’il était tranquille, non, mais il paraissait soulagé avec une petite angoisse qui le tenaillait quand même. Je le connaissais depuis longtemps, il cachait mal cette angoisse. Il m’a jeté un dernier regard furtif avant de disparaître.
J’aurais voulu partir avec lui moi aussi. Mais ça, c’est une autre histoire. »

Extrait 2
C’est sûrement difficile de partir.
Même si nous sommes préparés, même si la vie dure et pénible que nous menons ici laisse supposer que nous partirions sans difficultés et sans remords. Je ne sais pas si on quitte son propre monde si facilement que ça. Hafid ne m’avait pas donné cette impression. Pourtant c’était quelqu’un de prêt. Je me souviens des discussions que nous avions ensemble. La seule perspective qui se présentait à ses yeux était de partir. Il ne rêvait plus que de ça. Il ne vivait que pour ça. Il était entièrement tendu vers le départ, comme une flèche programmée pour atteindre sa cible. Il espérait par-dessus tout, trouver une dignité par le travail. Ici il n’avait jamais travaillé. Moi non plus d’ailleurs. Il était toujours en manque d’argent. Sa vie dépendait du bon vouloir de sa famille. Plus le temps passait, plus il devenait fatigué. Nous étions fatigués dès le matin. Pourtant on ne faisait pas grand chose. Le manque d'occupations dans une journée est tout à fait crevant. Le foot remplissait nos heures de discussions plus ou moins passionnelles. Je ne sais pas si ce n’est pas ça qui nous maintenait en vie. Le lundi, on commentait les résultats du dimanche. Le mardi, on finissait les commentaires du lundi. Le mercredi, nous commencions à parler des matches du dimanche prochain. Le jeudi, le vendredi et le samedi nous peaufinions nos prévisions sur le jeu, les joueurs, les tactiques des entraîneurs… Personne ne parlait de travail. Personne ne parlait des nouvelles du monde. Personne ne parlait d’études, ni de l’avenir. Personne ne se souciait de notre oisiveté, ni de nos maux. Nous étions ensemble, dans une sorte de bateau ivre qui ne quittait jamais les murs de la ville. Il se cognait contre les remparts de cette cité livrée à la poussière et au soleil. Personne ne se doutait finalement de notre fatigue, pourtant c’était une fatigue vieille de plusieurs générations. Elle s’accumulait en quelque sorte depuis des lustres. Elle laissait des traces sur tous les visages, sur toutes les peaux grises et ternes. Elle accompagnait notre quotidien comme le soleil et la poussière. Elle habitait notre langage de tous les jours. C’était une sorte de compagnon exigeant et fidèle. Notre bateau ivre tanguait finalement, malgré le manque d’eau et de vagues. Les seules vagues qui arrivaient jusqu’à nous étaient celles que provoquait l’action de certains comme Hafid. Il remuait la poussière avec ses rêves. Il dressait une échelle devant ceux qui ne rêvaient plus. Il rapprochait l’horizon du vraisemblable, du probable, du possible. »

Extrait 3
« Il était heureux de partir si vite. En effet, il avait de la chance. L’attente était bien longue en général, pour avoir une place dans le bateau. Il y avait beaucoup de demandes, mais on préfère toujours traiter avec des gens sûrs. La lettre de Si Ali était un gage de sérieux pour nous. Ceux qu’on ne connaissait pas, on les laissait en quarantaine en quelque sorte, afin de ne pas mettre en péril notre organisation.
Des jeunes comme lui, j’en ai vu beaucoup. Ils sont toujours gonflés à bloc. Ils sont prêts à payer le prix pour la traversée. C’est bon pour nos affaires ! On prend des risques nous aussi et il faut bien qu’on soit rétribué pour ça !
Beaucoup de pêcheurs se sont reconvertis dans ce genre de boulot. Notre rôle est de leur rabattre des clients. Ils nous payent pour ça. On bosse toujours avec le même marin, en partenariat en quelque sorte.
Nous avons d’autres rabatteurs à l’intérieur du pays afin de ne pas tomber sur des balances ou des taupes. Avant d’embarquer les gens, on leur prend leurs papiers d’identité et tout ce qui peut faire remonter les flics jusqu’à nous. Ensuite on les laisse dans une cache dans la montagne pendant le temps qu’il faut. J’avais dit à ce jeune Hafid que le bateau partait cette nuit, mais en réalité je ne savais pas du tout quand est-ce qu’il partirait. Ma mission s’arrête quand je livre les individus aux pêcheurs. Cependant ceux-ci m’informent toujours de la réussite ou non de l’expédition. Avant, j’étais comme Si Ali vendeur de tissu dans la médina de Tanger. Mais la crise ne m’a pas permis de continuer dans cette voie. Petit à petit, les portes de ce trafic s’étaient ouvertes à moi. Je gagne beaucoup mieux ma vie. Finalement, nous travaillons tranquillement dans la ville. Les candidats arrivent ici et restent le temps qu’il faut pour tenter leur chance. La ville entière profite de leur séjour. On les appelle les hourragas, les « brûleurs ». Ils brûlent littéralement les distances et les espaces ! Ils brûlent leur vie dans une opération risquée. Ils brûlent leur désespoir, le temps d’une traversée ! Ils brûlent leurs rancœurs, en achetant une place dans une barque pour un lendemain meilleur. »

Extraits de Le Vieux Palmier

Extrait 1
« Targheline glisse dans le temps affublé d'une ocre immuable. Rien n'a changé depuis toujours. Pays ouvert au vent, il transpire le dur labeur, et le rêve impossible. Tout y est miraculeux. Le moindre grain de blé est un miracle. Le velouté d'une datte est un miracle. Un simple légume qui sort de cette terre sobre est un miracle. Une goutte de pluie qui tombe du ciel orchestre tout cela en une symphonie de miracles fragiles et émouvants. Targheline passe ainsi de l'abondance heureuse en temps de pluie, au désarroi le plus mordant en temps de sécheresse. Les Aït Maghram donnent l'impression d'un sculpteur qui n'en finit pas de ciseler sa pièce. Le ksar, la terre, la culture, se frayent un chemin entre ces deux extrêmes. »

Extrait 2
« Baba Hada était né à Targheline, et il en connaissait les moindres caprices, et toutes les largesses aussi. Il était dans la pleine force de l'âge, grand, un corps maigre et osseux, des yeux noirs, brillants et perçants. Les Aït Maghram l'ont choisi à leur tête, pour ses qualités d'homme intègre, et droit. Il était peu loquace. Il savait cependant se servir des mots pour rallier les siens à une décision. Il savait aussi se servir des mots pour créer de bonnes relations de voisinage avec les tribus environnantes. Il a su ainsi éviter bien des pertes en vies humaines que coûtent les innombrables rixes dans la région. Il gérait les affaires de la tribu avec prudence et justesse, ce qui a permis aux Aït Maghram d'avoir quelques réserves d'avance en cette période de disette. »

Extrait 3
« Derb Sahraoua était livré aux enfants. La rencontre avec Tata vibrait encore en moi. J'étais complètement sous le charme de cette femme. Elle ne m'avait rien dit ou elle m'avait tout dit, je ne savais pas encore. Ses mots charriaient une atmosphère douloureuse, une blessure qui m'était proche sans que je sache pourquoi. Je restais en suspens désirant ardemment qu'elle réapparaisse dans la poussière de ce quartier tourmenté. Elle était arrivée comme une étoile filante et elle avait disparu de même, me laissant sur ma faim.
Une dune de plus qui voyageait dans l'espace ?
Un mirage qui surgissait à l’horizon des mots ?
Une voix qui ressuscitait des orages lointains.
Des voix s'élevaient justement dans ce quartier-champignon, des voix de gosses absorbés par leurs jeux et d'adultes plongés dans le feu de la journée. »

Ma bibliothèque

J’ai des goûts un peu éclectiques s’agissant de mes auteurs référents. J’ai toujours apprécié les écrits de Abdelkabir Khatibi, Kateb Yacine, Mohamed Khir-eddine, Aimé Césaire, Edouard Glissant, Julien Gracq, mais aussi Achébé, Patrick Chamoiseau, Boualem Sansal, Emmanuel Dongala, Orhan Pamuk, André Dhôtel. Quand je pense à des livres qui m’ont influencé, je citerais Le Sang noir de Louis Guilloux, Nedjma de K. Yacine, La Condition humaine de Malraux, Les âmes mortes de Gogol… Des poètes aussi m’ont influencé, les poètes grecs Odysseas Elytis, Yannis Ritsos, d’autres poètes comme, Hölderlin, Aimé Césaire, Abdelatif Laabi, Mohamed Khir-eddine, Aragon, Eugène Guillevic, Yves Bonnefoy …

Lieu de vie

Île-de-France, 91 - Essonne