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Les écrivains / adhérents

Joël-Claude Meffre

Poésie / Essais
photo Joël-Claude Meffre

Joël-Claude Meffre est né en 1951 dans le Vaucluse (France) ; issu d’une famille de viticulteurs comtadins, il a passé son enfance en milieu rural auquel il reste attaché. Il réside près de Vaison-la-Romaine. Il est archéologue ; il a effectué également des études littéraires et de philologie. L’autre versant de son activité est consacré à l’écriture.
Après avoir milité de nombreuses années pour la reconnaissance de la langue et de la littérature occitanes, ce qui l’amené de rencontrer écrivains, chercheurs, locuteurs de cette langue (il a publié de nombreuses textes poétiques et scientifiques dans cette langue), il a rencontré en 1978 le poète Bernard Vargaftig, qui l’a incité poursuivre la voie du travail poétique en français. Plus tard, la rencontre avec l’œuvre et la personne de Philippe Jaccottet ont également été déterminantes pour lui.
Dans les années 2000, il a commencé à publier se premiers livres grâce à l’éditeur Bruno Roy, (éditions Fata Morgana). Il a noué d’autres liens étroits avec des poètes et écrivains, tels que Claude Louis-Combet, Antoine Emaz, James Sacré, Emmanuel Laugier, Hubert Haddad, Joël Vernet, Pascal Quignard, Henri Raynal, Jean-Baptiste Para.
Il écrit des notes de lecture pour la revue littéraire Europe.
Au début des années 1990, il a rencontré le soufisme et son enseignement spirituel. Il approfondit ses connaissances du monde arabo-musulman. Il publie des essais sur le soufisme aujoud’hui.
Les complicités qu’il a avec certains peintres (Albert Woda, Michel Steiner, Jean-Gilles Badaire, Anne Slacik, Jacques Clauzel, Youl Criner, Alberto Zamboni, Catherine Bolle, Bénédicte Plumey, le calligraphe irakien Ghani Alani) lui ont donné l’occasion de réaliser nombre de livres d’artistes.

Pour un autoportrait
Un homme qui a les mains de son père, très terriennes ; un esprit souvent envolé, tortueux, mi ombre mi lumière, mais souvent suffisant avec lui-même ; avec des nœuds pleins la poitrine ; qui est ignorant de lui-même ; et qui se sert de son ignorance pour en tirer quelque clarté permettant de mettre un pas devant l’autre, en s’égarant juste ce qu’il faut. Un homme qui se cherche avant même de s’être trouvé, mais qui reste éternellement dans l’incapacité de se connaître : de ce fait, il en ressort doublement ignorant. Rien que d’assez commun, au fond. C’est avec ça qu’il essaie de se travailler lui-même au corps, au moyen de l’écriture et la méditation. Ca lui permet d’avoir vraiment le sentiment de creuser à la sueur de son front une terre froide ou très sèche, suivant les saisons, toujours plus profonde et argileuse. Il y recreuse ses propres traces en même temps qu’il cherche les failles à suivre dans le miroir de son Narcisse. L’écriture est son fil d’Ariane ; et il est à lui-même son propre labyrinthe. Quant au Minotaure ? Il s’est peut-être enfui. Lorsqu’il sera en mesure de pouvoir donner visage à l’idée de sa propre mort et qu’il saura imaginer de la regarder en face, alors l’apaisement fera jour.
Les thèmes de « prédilection » : l’ordre et le désordre de la nature, l’humain dans l’autre humain, l’autre animal, l’animal dans l’humain, l’humain dans l’animal, la pensée de la mémoire, la mémoire de la pensée ; la spiritualité et la connaissance par et dans le soufisme ; le phénomène humain face à lui-même comme face à l’espoir d’être, un jour.

Bibliographie

Essais, poésie
– Insondables / je ne sais plus / et j’écrirai, Æncrages & Co, 1982
– Clapière /Eboulée, Sud Profond, Détours d’écriture 10, 1987
– Avec Faouzi Skali, Le face à face des cœurs (Une approche du soufisme aujourd’hui), Le Relié, Gordes, 2000.
– Dénouant, poèmes, Editions de l’eau, Céret, 2002, manières noires d’Albert Woda
– Une geste des signes, avec Ghani Alani, calligraphe irakien, (essai sur la calligraphie arabe et la spiritualité) préface de Salah Stétié, Fata Morgana, 2002
– L’abord, (poèmes), Fata Morgana, 2003
– L’aboi sans fin, (récits), Paris, Circa 1924 (avec quatre pointes sèches d’A. Woda), 2008.
– Respirer par les yeux, éd. Wigwam, 2008
– Mont Ventoux, entre vents, racines et rocs, poèmes accompagnés de 24 photographies de Léonard Sussman, La part des Anges Editions, 2009 (édition bilingue français/anglais)
– Trois figures d’oubli, Tarabuste, 2009.
– Tique, Propos de Campagne, 2010
– Ce jour / empreinte, L’arbre à Paroles, Maison de la poésie d’Amay (Belgique), 2009.
– Témoignage de la poussière, (autour de la figure du saint soufi Mansur al-Hallaj, préface de Pierre Lory, postface de Claude Louis-Combet), éd. Courlevour, 2010. Avec des Monotypes de Bénédicte Plumey.

Livres d’artiste
– De la chaux sur les ombres, Fata Morgana, 2003, peintures de Michel Causse
– Délivrée Ateliers des Grames, Gigondas, 2003, conception et réalisation de Bernard Souchière
– Atteinte au visage (poèmes), dessins de Michel Steiner, Fata Morgana, 2004.
– Les derniers papillons ont soif aussi…, 10 proses avec des peintures de Youl, Youl éd., 2008.
– Dans les souffles, poèmes avec 3 peintures de Jean-Gilles Badaire, Fata Morgana, 2009
– Ventoux, montagne en mémoire, poèmes, avec des peintures d’Anne Slacik, éd. Rivière, 2009.
– Nue, la tombe, 14 poèmes avec une peinture et une conception de Béatrice Lacombe, éd. B. Lacombe, 2009.
– Là où est l’arbre, avec des bois gravés de Ian Tyson, Encres et Lumière, 2010.
– Deux ou trois îlots de neige, avec des peintures de Sylvie Deparis, SD Éditions 2010

Livres objets
– Dix poèmes sur les ronds noirs, livre-objet avec une peinture sur panneau de bois de Michel Barjol, éd. Galerie Annie Lagier, L’Isle-sur-Sorgue, 2010

Textes sur les peintres et la peinture
– Vers l’ennuagement du monde, texte sur le peintre Woda, Catalogue Galerie Visconti, Paris, 2004.
– En posant pour Michel Steiner, (Remarques sur le regard), Hommage au peintre, revue Nue, 2007, (B. Bonhomme, dir.)
– Sept poèmes offerts, autour des œuvres peintes d’A. Woda, Catalogue de la galerie Arthus, Bruxelles, 2008.
– Offertes à l’homme du texte in Visions, Visitations, Passions, Hommage à Claude Louis-Combet, De Coulevour, 2008.
– Sur la peinture d’Alberto Zamboni, Catalogue de la Galerie Carzaniga, trad. en allemand et italien, Bâle 2010

Textes en ligne
– « Charogne », « Mémoires blanches », Remue.net
– « « H » comme « Hirondelle, « H » comme « Hiroshima » », Mouvances, no. 10.
– « Œil du cœur », « Crapaud », « Les faits 1934 », Extraits.
« Signes de nudité », Loxias, 6.
– « Ces noms qui ne sont plus de personne », Conférence, 25.
– « La méta intention ou le chemin de l'énigme le long du mur de la peste », Protocoles méta.

Textes parus régulièrement en revue depuis 2000
Détours d’écriture, Europe, Revue de littérature alsacienne, Revue N4728, Revue de Belles Lettres suisses, Propos de campagne, Sorgue, Passage d’encre (en ligne), Mouvances.ca (en ligne)Moriturus, Autre Sud, Conférence, Nunc, L’étrangère, Revue Nue,
Triage, L’Animal. Le Frisson esthétique, Lieux d’être, AEncrage

Extraits

Noyaux de fer
« Il [le cri] ne semblait pas venir d’un homme mais d’une machine à souffrir » (Kafka)

Il s’avance, le père, au milieu des osiers. Je le suis de loin, le long de la berge, jusqu’au coude de la rivière. Il disparaît soudain au détour du sentier. Je m’approche, sa silhouette se fond parmi les arbres. J’ai peur. Il pleut, il fait froid. Nuit.

Le sentier débouche là où il vient se poster. C’est un grand taillis qui forme comme un bosquet clairsemé au plus près de l’eau. Fouillis de branches mortes enchevêtrées, couches de feuilles, vieux terriers comblés. Là, en ce lieu, il jette ses cris.

Je le vois : il est immobile, rencogné dans la fourche d’un peuplier mort. Est-ce que je pourrais m’approcher pour mieux le voir ? Comment oser ? Il est de dos, tourné du côté de la rivière, la tête dressée vers la falaise. Un long cri jaillit soudain hors de sa poitrine comme s’il l’avait longtemps médité. Cri rugueux : celui d’une bête. Déchirant. Je frémis de me savoir seul à l’entendre. Silence. Je n’ose écouter encore. Un autre cri, plus tard, très aigu. Silence. Trois autres cris ensuite qui se suivent. Un long sans-cri.

Il semble reprendre son souffle. Il s’emplit du silence qu’irise à peine le clapotis de l’eau sur les galets. Il respire à pleins poumons, soulevant sa poitrine, comme s’il manquait d’air. Et puis un cri, à nouveau. Il me perce, me transperce. Je crois comprendre. Le père envoie ses cris là-bas vers la falaise. Il crie pour elle. Pour la falaise. Il s’appuie de ses deux bras sur le tronc du peuplier, il cherche l’air. Il est tendu, il regarde là-bas, fixement.

Des échos reviennent vers la source de la voix. Ils sont comme des pépiements à peine perceptibles. Il se pressent, ces échos-là, reviennent vers l’ombre de la bouche émettrice, vers le corps tendu ; ils s’éteignent à ses pieds, s’effacent sans force sur les graviers.

(Je me mets à penser à ces chiens que j’ai connus, autrefois, aboyant sans cesse dans la nuit. Je voyais leurs mâchoires s’ouvrir et se fermer telles des ressorts. Ils aboyaient contre leurs propres jappements que renvoyaient des murs aveugles et très hauts. Les chiens étaient dressés devant ces murs. Ils désespéraient de solitude et leurs jappements se propageaient en ondes régulières en s’aiguisant les uns contre les autres sur la meule tournante du silence.)

***

Qui est-il, le père « jeteur de cris », debout dans le taillis ? Qui est-il ? Qui croit-il devenir par ce jeu de désespéré ? Du fond de mon affolement retenu, je le questionnais : « Qui est-ce que tu appelles vers la falaise ? Quelqu’un que tu connaîtrais, là-bas ? Quelque voix ancienne ? Quelque femme morte ? » Mais la falaise reste imperturbablement silencieuse. Elle attend les cris de tous les premiers venus. C’est une éponge qui s’imprègne des voix, de clameurs. Parfois une bouche répond et la falaise rétorque timidement. Répondrait-elle de tes cris, à toi, comme l’inculpé répond de son crime ? Ils sont logés en moi, tes cris, et leurs échos amoindris ne me rassurent en rien. Ils se sont réfugiés sous un tas de cendre froide, dans ma mémoire. Ils s’y concentrent comme des noyaux de fer et rien ne pourra les dissoudre.

***

Père s’en est retourné à la maison, trempé, le front plissé. Il est venu s’asseoir à la table, il a bu deux verres de vin en se laissant servir une soupe refroidie. La mère ne lui a pas demandé pourquoi il s’était si longtemps attardé par ces temps froids.

Je suis là, je l’observe. Il est calme. Ce qui s’est passé, tout à l’heure, à la rivière, ça pourrait s’oublier. J’aimerais pouvoir lui dire : « regarde-toi un peu, regarde comme tu étais, là-bas. Est-ce que tu as oublié cette bête que tu étais devenu au milieu du taillis ? Est-ce que moi aussi, je dois l’oublier, cette bête que tu étais ? »

Il est dans son fauteuil, apaisé, silencieux. Sa femme ne sait rien de tout ça. Il a passé le seuil de la porte qui est la pierre d’oubli. Je l’ai passé, aussi. Quand on l’a passé l’un derrière l’autre ce seuil-là, les cris sur la rive ne pèsent plus rien.

***

Il est devenu un homme sans mémoire. Je sais maintenant qu’il était une machine à souffrir tandis que, caché dans le fourré, j’avais mes yeux rivés sur lui, pétrifié d’angoisse. Peut-être, au fond, tout ça n’est peut-être qu’un mauvais rêve. Je me suis dit plus tard que la crue de l’hiver avait emporté le tronc fourchu de l’arbre et effacé le passage dans le taillis ; que les échos de ses cris s’étaient étiolés, et que certains restaient agrippés à la paroi de ma mémoire, comme les échos des cris les plus pitoyables.

(extrait de Intempéries, à paraître chez Fata Morgana)

Lieu de vie

Provence-Alpes-Côte d'Azur, 84 - Vaucluse

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Résidences