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Les écrivains / adhérents

Chahla Chafiq

Nouvelle / Essais
photo Chahla Chafiq

C’est en 1982 que j’ai trouvé refuge en France, après deux ans de vie clandestine en Iran où j’étais sur la liste noire du pouvoir islamiste. En exil, j’ai pris le chemin de l’écriture. Ecrire est depuis le lieu de mes vies successives, de mes infinies réincarnations, à travers la réflexion, la fiction et l’action.

http://www.chahlachafiq.com
Bibliographie

Nouvelles
– Chemins et brouillard. Métropolis, 2005.

Essais
– Islam politique, sexe et genre. A la lumière de l’expérience iranienne. (PUF, 2011) – Cet essai a reçu le Prix Le Monde de la recherche universitaire.
– Le nouvel homme islamiste - Les prisons politiques en Iran. (Le Félin, 2002)
– Femmes sous le voile face à la loi islamique. (Le Félin, 1995)
– La femme et le retour de l’islam - L’expérience iranienne. (Le Félin, 1991)

Extraits

Le jour de mon anniversaire, mon père se blessa à la tête en allant chercher du miel à la réserve. C’était le jour de mes quarante et un an. Le lendemain, mon père commença une dépression.
Les rayons de miel se trouvaient dans une réserve exiguë à l’entresol de notre maison de campagne. Comme les guêpes prenaient d’assaut cette réserve, mon père avait fixé au plafond un ventilateur qu’il allumait chaque fois qu’il entrait de manière à les chasser. Cette fois-là, absorbé dans ses pensées, il avait complètement oublié le ventilateur. Après s’être penché sur un rayon pour verser du miel dans un bol, au lieu de sortir, comme d’habitude courbé pour être hors de portée du ventilateur, il se redressa, et les ailes du ventilateur le blessèrent à la tête. Il n’éprouva sur le moment aucune douleur. C’est seulement en voyant l’expression horrifiée de son invité qu’il réalisa que quelque chose s’était passé. Le sang avait jailli de sa tête, coulé le long de son cou et trempé sa chemise. On le transporta à l’hôpital. Une heure plus tard, une fièvre se déclara. Le lendemain, ses blessures avaient déjà commencé à se cicatriser. Toutefois, il ne mangeait plus, ne dormait plus ; il disait qu’il ne voulait plus vivre.
Je venais d’avoir quarante et un an. J’étais à des milliers de kilomètres de l’Iran et de mon père et, dans ma petite maison de la banlieue parisienne, quelque chose se brisa dans ma tête et saignait. Chaque année, le jour de mon anniversaire, j’avais la sensation de gravir une marche de ma vie. Ainsi, la vie m’apparaissait comme un escalier sans fin dont chaque marche menait, selon mes projets et mes rêves, à des espaces où s’ouvraient des fenêtres et des portes. Des fenêtres et des portes d’où l’on pouvait voir des routes et des horizons, parfois ensoleillés et enchanteurs, parfois pluvieux et mélancoliques, mais toujours ouverts et vastes. On pouvait y marcher, y courir ou cheminer tout doucement, aller vers quelque chose, se mettre en route vers un but précis. Mais maintenant, arrêtée sur la quarante et unième marche de l’escalier de ma vie, regardant autour de moi, je me suis vue enfermée dans un espace clos, sans aucune issue. J’ai tout à coup senti une insupportable douleur à la tête, comme si quelque chose s’était brisé et saignait.
(La blessure, in Chemins et Brouillard, Metropolis, 2005)

D’ordinaire, les hommes jeunes ne sont pas particulièrement réputés pour écouter les confidences des autres. Mais Monsieur Olivier Cagneau, lui, servait de mur des lamentations à ses amis. En plus de la compassion qui lui était naturelle, entendre les détails du destin des gens lui procurait un plaisir particulier. Sa mère rapportait d’ailleurs que dès l’âge où il avait pu s’asseoir sur une chaise sans aide, il suivait attentivement les conversations des invités et s’agitait sous l’effet de leurs paroles d’une façon qui traduisait un intérêt certain.
A trois ans, lorsque Madame Rosemarie qui était leur voisine à l’époque racontait à sa mère la poignante histoire de la mort de son mari, il pleurait à chaudes larmes. Lui-même se souvenait très bien qu’il parvenait à grand peine à dégager sa tête de l’assaut des gros seins chauds et moites de Madame Rosemarie qui, touchée par sa réaction, se précipitait vers lui pour l’embrasser. Plus tard, quand il sut lire, il se tourna vers les récits et les romans. Mais jamais le plaisir n’égala celui d’entendre la vie des gens racontée par leur propre bouche.
C’est pour cela qu’Olivier Cagneau, au début de sa carrière à l’Office des Réfugiés, se sentit en complète harmonie avec son travail, et fort heureux de ce fait. Ce travail consistait à contrôler les dossiers des demandeurs d’asile, et était relativement bien payé. Pour qu’une décision soit prise à propos de ces dossiers, il devait rencontrer les demandeurs et s’entretenir avec eux. Et Dieu sait combien ces gens avaient des destins étonnants et étranges. Il traçait une carte du pays concerné et y plaçait un point noir, la maison de Monsieur Boko, ou Tchang, ou Turgut ou Ahmadi. Autour de ce point noir, des routes prenaient forme, des maisons et des gens apparaissaient, et c’était le début d’un voyage mouvementé. Même dans le long et profond sommeil de ses nuits, ces voyages se poursuivaient dans son esprit.
Les jours d’entretien, il se hâtait, impatient, vers son lieu de travail. Le bâtiment de l’Office des Réfugiés se tenait, morose, au milieu d’une place animée. Il se frayait un chemin parmi les gens qui serpentaient comme une file de fourmis vers le bâtiment. Il ouvrait la grande porte, appuyait sur le bouton de l’ascenseur et passait par un couloir où des gens de toutes sortes attendaient sur des chaises, et enfin il prenait place à son bureau, attendant le bruit de la porte afin de commencer son voyage quotidien.
(J’aimerais entendre vos raisons, in Chemins et brouillard, Metropolis, 2005)

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques
  • Rencontres en milieu universitaire
  • Rencontres en milieu scolaire