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Les écrivains / adhérents

Claire Blanchard-Thomasset

Nouvelle
photo Claire Blanchard-Thomasset

Elle a commencé à écrire grâce aux ateliers d’écriture, avec tout ce qu’ils apportent de confiance, de plaisir et de partage. Les formes brèves ont sa préférence : nouvelles et fragments.
A lire ou à écrire, elle aime la nouvelle pour son intensité, sa fulgurance, sa minutie nécessaire et ses multiples facettes. Elle adore convoquer des personnages en porte-à-faux de la vie, oscillant entre espoir et désespoir, emberlificotés dans des conflits internes dont ils se sortent parfois grâce à l’humour. Le fragment lui permet d’exercer encore davantage son goût pour la miniature.
Auteure peu prolifique, elle envisage de vivre jusqu’à cent-cinquante ans pour atteindre une bibliographie substantielle.
Professeure de français, puis bibliothécaire, puis formatrice en écriture (formée à Aleph écriture où elle a exercé plusieurs années), elle est revenue depuis peu à l’enseignement auprès de collégiens : c’est dire qu’elle navigue depuis toujours entre littérature et transmission.
Son parcours lui permet de proposer rencontres et ateliers d’écriture sur-mesure à des publics variés.

Thèmes
Les relations, au sein de la famille, du couple, au travail − La quête de soi − Les âges de l’existence − Le temps qui passe, le temps qui reste − Le sentiment amoureux − Le dit et le tu

Bibliographie

- Fenêtre ou couloir, Ed. Quadrature, 2020 (nouvelles)
- À l’étouffée, Ed. L’iroli, 2009 (fragments)
- Femmes d’attente, Ed. du Rocher, 2002 (Prix Prométhée de la nouvelle)

Extraits

Fenêtre ou couloir / Début de la nouvelle « Au fond de l’église »
Ils sont arrivés ensemble, tous les trois, dans une voiture qui suivait le corbillard. Elle, sa fille, son fils. Elle, je la reconnais tout de suite, malgré les années passées sur son visage. Des cheveux blonds, autrefois ils étaient châtains, une silhouette toujours fine. Elle porte des lunettes sombres. Eux, je devine que c’est eux. Ils encadrent leur mère comme des gardes du corps. Sa fille, à gauche. Son fils, à droite. Ils restent un moment sous le porche. Je peux les observer, les entendre se parler sans me faire remarquer. Chercher les ressemblances avec lui. Chez sa fille, je reconnais ses yeux, le même bleu vif, et une gaucherie dans les gestes. Son fils, même mâchoire carrée, même timbre de voix, exactement. Grave, un peu rauque. Ils passent devant moi, vont se placer au premier rang. Ils ne me connaissent pas, ne m’ont même pas vue, une femme au fond de l’église.
La nef est remplie de monde, des dizaines de manteaux noirs en rangs serrés, qui luttent contre le froid de février. Qui sont tous ces gens ? Des confrères sans doute, des infirmières, des gens qu’il a soignés peut-être. Il travaillait encore il y a quelques mois. Et puis des amis, des parents. Son frère j’imagine, cet homme près du pilier a un air de famille. Des connaissances, des voisins, que sais-je. Et moi. Moi qui n’ai pas reçu le faire-part de décès.
Je me demande s’il a voulu cette cérémonie, cette église. C’est elle qui a dû choisir. Je ne sais pas grand-chose de l’homme qu’il était devenu. Le cercueil traverse l’allée centrale au son des grandes orgues. Je sursaute. Pas lui, cette musique-là, ces accords banals, appuyés, presque vulgaires. Personne ici pour jouer Bach avec grâce. Ça me fait quand même monter les larmes aux yeux. Il en reste donc toujours. Le prêtre se met à parler. J’attrape des mots : « homme de conviction », « bon mari », « bon père », « ami fidèle ». C’est lourd, c’est pompeux. Celui que j’ai connu aurait ri, celui que j’ai connu serait sorti de sa boite pour crier « N’en jetez plus ! » Celui que j’ai connu est mort, ce discours que personne n’interrompt me le dit plus encore que le cercueil en bois noir, à vingt mètres de moi.

Fenêtre ou couloir / Début de la nouvelle « Sénior »
« Rien faire, ça me tue ! » C’est ce que Franck avait affirmé, il y a un an exactement, à la conseillère de Pôle emploi, une grande bringue blonde au sourire chevalin qui tapait sur son clavier comme au temps des Olivetti mécaniques, technologie qu’il n’avait pas connue, tout sénior qu’il était. Car la grande bringue lui avait asséné le mot dès la première minute de leur entretien : « cinquante-cinq ans, Monsieur Musart, vous êtes sénior ! » Ce n’était pas une révélation, mais pour Franck ce terme était jusque-là synonyme d’expérience et de meilleur salaire. Il prenait maintenant un autre sens. Il voulait dire : vous allez ramer pour retrouver du boulot ! Franck avait accusé le coup.
Douze ans passés chez Pardy et frères et il n’avait pas vu venir la fin, quel naïf ! C’est plus tard qu’il s’était souvenu : le sourire gêné de Sylvette quand elle lui avait dit que son planning clients du trimestre suivant n’était pas encore prêt, le recrutement rapide d’un nouveau commercial qui couvrirait avec lui le secteur de Caen, la réponse évasive concernant le changement de sa voiture de fonction. Un mercredi soir, le patron l’avait convoqué. Franck était loin de se douter que c’était pour lui dire de faire ses cartons, et vite fait. Pas de passation, pas de pot de départ : « Vous reviendrez nous voir un de ces jours, on boira un coup ! » Franck était sonné. Il aurait pu réagir, évoluer, changer ses méthodes, trouver d’autres clients, augmenter son chiffre. Mais il n’y avait pas à discuter, il était viré. Comme un malpropre, comme un sénior. Un an de salaire pour qu’il encaisse sans faire de vagues. Il avait fini la semaine dans une sorte de brouillard et le vendredi, après une dernière andouillette-frites Chez Fifi avec trois collègues, il était dehors, son porte-documents maigrichon au bout du bras, son galet presse-papiers rapporté de l’ile de Ré dans la poche et la trace du rouge à lèvres de Sylvette sur une joue. C’était début octobre, il faisait beau et doux. Dans sa vieille Clio bleu ciel, Franck avait baissé les vitres et, sortant de la zone industrielle, il avait attrapé la bretelle d’autoroute en direction de Paris. Il avait roulé pied au plancher pendant deux heures. A l’aire de Morainvilliers Nord, il s’était arrêté pour boire deux cafés serrés puis il avait repris la route en sens inverse. Il allait affronter.

Lieu de vie

Île-de-France, 94 - Val-de-Marne

Types d'interventions
  • Ateliers d'écriture en milieu scolaire
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Rencontres en milieu scolaire