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Les écrivains / adhérents

Eléonore Clovis

Nouvelle
photo Eléonore Clovis

Née à Paris, j’ai étudié la philosophie et la musique en parallèle, avant de me tourner vers le théâtre… et finalement la chanson, qui associe les trois !
Tombée très tôt dans l’écriture, j'ai publié mon premier livre chez Gallimard en 2010, et commencé à travailler pour la radio et la presse écrite, dans la fabrication de documentaires, articles, entretiens et dessins de presse…
Ces dernières années ont été plutôt consacrées à la création de mon propre spectacle de chansons (du temps où la scène existait encore). J'anime également des ateliers, débats et résidences artistiques, complétés par des tas de petits boulots moins avouables allant de modèle nue à professeure en lycée.
Mon travail littéraire est orienté vers l'ouverture à l'autre, individuel ou culturel. J’ai le goût des langues étrangères -tout en respectant les gestes barrière- et j’essaie généralement d'établir des contacts avec les habitants, humains ou autres, des lieux où je passe. J’ai notamment développé un projet de "dessins discutés", basé sur les propos échangés, perles récoltées lors de résidences.

Bibliographie

- Echantillons (Ed.Gallimard, collection l'Arpenteur, 2010) Officiellement rangé dans la catégorie « Roman », bien qu’il s’agissent de petites nouvelles très courtes.
- Concordanse des sons (Ed.Carnets-livres, 2012) Textes, dessins, carnets de voyages et partition. Hors catégorie.
- Le petit Rond (Ed. Rue des écoles, coll. Mouck, 2018) Livre jeunesse

Extraits

Extraits de Echantillons :
Sans-Abri
Immobile au milieu de la marée urbaine, il flotte, au milieu de ceux qui vont vers et viennent de, pur être parmi des devenirs pressés. Lui ne devient rien, n’est rien. Unique et ultime légitimation de lui-même, il est, et c’est énorme. Il est à en mourir. Aucun avenir ou souvenir, ou si peu, par vague, au gré d’une paire de chaussures rouges ou d’un effluve de croissant chaud. Il est homme, femme, enfant, vieillard, passant et passager, il est chacun et personne, voyageur immobile d’une obscure odyssée. Sous la crasse et le froid, pointe un instant, aigu et bref, l’espoir d’un passé renouvelé, sitôt noyé dans les brumes d’alcool et la vapeur, sitôt glacée, de la bouche des passants. La pièce jetée prolongera de quelques instants cette existence abstraite de toute vie, présence absente, présent absolu et vacillant, d’autant plus nécessaire que parfaitement contingent. Pour quelques instants, il est encore, c’est tout.
Le ministre
Au fond de son cabinet doré, penché sur un sombre dossier, le ministre est blême. Pas le choix. Il est coincé. Coincé dans son costume sur mesure et la portée de son acte, entre son fauteuil et son bureau, entre la chambre et le cabinet, la présidence et le conseil, entre l’Etat et la Nation, la raison et l’histoire, la bourse et la vie. Coincé dans son ministère, dans sa pièce et dans son personnage, coincé par ses propres répliques. Le ministre approche son stylographe du bas de la page. Il sait qu’il est trop tard, que le mal est fait, que le moindre mouvement de recul entrainerait pire encore. Il sait que les uns feront semblant et les autres se tairont. Il espère que tous oublieront. Les paroles s’envolent, les écrits s’enterrent. Le ministre signe.
Il sait que la secrétaire sait et qu’elle obéira. Elle sait que si ce n’était elle ce serait une autre. Elle ne fait que son travail. Le ministre aussi. Un travail comme un autre. Les morts en plus. Il en ignore le nombre.

Extraits de Concordanse des sons :
A la place de l’autre
« Met toi à ma place. » J’ai essayé. Ce n’est pas qu’une expression. Se mettre à la place des autres est une activité très absorbante. Trop. Ce n’est pas une vie. Ou plutôt, ce n’est pas ma vie.
Auparavant, j’étais misanthrope. C’était horrible et confortable. Mon moi trônait, lumineux et limité par l’ensemble des non-moi haïssables. J’avais raison, ils avaient tort. Simple et schématique carte du monde. Partant de cette vérité bidimensionnelle, mon regard s’orientait sans hésitation sur une ligne droite, étroite et nette. L’unique défaut de ce point de vue parfait étant surplomber une multitude de points de vue différents du mien, donc distordus. Vision déprimante à la longue.
Pour me changer les idées, j’ai eu la curiosité de me mettre à la place des autres. Comme ça, pour voir. Voir faux, rien qu’un instant. Cet exercice ne nécessite aucun effort. Pas même besoin de sortir de soi ; il suffit d’absorber l’autre, sa vie, ses habitudes, ses sentiments, ses souvenirs. Se glisser dans sa peau. Pas forcément plus confortable ni plus spacieuse que la notre, mais enfin, autre. Une sorte de tourisme altruiste. Plutôt plaisant au début, pour moi comme pour les autres, qui se sentaient immédiatement à l’aise en ma présence, comme chez eux.
C’est depuis que j’ai voulu me remettre à ma place, me reposer un peu en moi, du haut de mon point de vue immuable, que j’ai remarqué que quelque chose clochait. Je ne parviens plus à rassembler mes idées, jadis si bien ordonnées. Je suis déconcentré, dilué, dissolu en une multitude de minuscules moi lumineux, surface fluctuante et réfléchissante, en laquelle autrui se mire. J’ai perdu ma place.

Extraits de Le Petit Rond :
Chez les Carré, on était carré depuis toujours.
Il y avait bien [eu] un cousin un peu rectangle…
Et même une tante, dont on n’aimait pas trop parler.
Elle avait épousé un triangle, un saltimbanque qui jouait dans un orchestre.
Mais un rond jamais ! Aussi quelle surprise à la naissance du petit dernier de la famille Carré : un rond carré, ce n’était pas possible !
Quelle panique ! Il n’était pas du tout adapté au berceau qui avait servi à ses frères et sœurs.
Sur les photos de famille, il roulait toujours de-ci… de-là… Au grand désespoir du photographe.
Sur ses bulletins scolaires, il était toujours écrit : « Elève instable. Ne tient pas en place ! »
« Pierre qui roule n’amasse pas mousse ! » Lui répétait ses parents.
Mais le petit rond continuait à rouler. Il ne pouvait pas s’en empêcher.
Un jour, la famille Carré décida de faire un pique-nique en haut d’une colline, mais…
A peine avaient-ils déplié la nappe à carreaux et sorti que les sandwiches que...
Le petit rond se mit à rouler. Et rouler. Et rouler encore. De plus en plus vite. De plus en plus fort.
Il ne pouvait plus s’arrêter.
Il traversa des contrées lointaines de toutes les formes, de toutes les couleurs.
La tête lui tournait tellement qu’il ne savait plus depuis combien de temps il roulait.
Enfin, il arriva au bout du monde. Il n’y avait plus de terre pour rouler.
Et comme il roulait toujours, il tomba.

Ma bibliothèque

Boris Vian comme point de référence, source d’inspiration, déclic fondamental à l’adolescence, notamment L’automne à Pékin, que j’aime encore plus que L’écume des jours je crois. Dans la lignée classique du Non-Sens : Alphonse Allais, Lewis Caroll bien sûr, ainsi que Descartes sous un certain jour (sa démonstration de Dieu par l’absurde est un chef-œuvre du genre). Egalement Spinoza, écologique éveillé avant l’heure, et Epictète, qui aurait fait des vidéos de développement personnel s’il avait vécu à notre époque. Pantagruel pour sa verve moelleuse en bouche et sa truculence, ainsi que d’autres ouvrages plus lointains encore dans le temps, tels que l’anonyme et savoureux Aucassin et Nicolette… Et pour finir avec les plus ou moins modernes qui m’ont marqué : Jules Laforgue, Moralités légendaires, Luc Dietrich, L’apprentissage de la ville, Franz Kafka, L’Amérique, Céline, Mort à crédit, et Amélie Nothomb, Métaphysique des tubes. Sans oublier Roal Dahl.

Lieu de vie

Provence-Alpes-Côte d'Azur, 04 - Alpes-de-Haute-Provence