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Les écrivains / adhérents

Frédéric C. Dévé

Roman
photo Frédéric C. Dévé

Mes maîtres furent Cervantès, Flaubert, Maupassant, mais aussi Goethe, Borgès, Beckett et Yourcenar. J’ai dans les guibolles une vie de jungles et de guerres dans une soixantaine de pays d’Asie, du Moyen Orient, d’Afrique et d’Amérique latine. Je m’occupe encore d’environnement et de pauvreté, parfois, entre autres moulins à vents, mais ces derniers se raréfient, je n’en vois plus guère à l’horizon. Alors je fume la pipe, j’ai deux jeunes enfants, un chat, un lilas et surtout une femme que j’aime – et le langage un peu plus chaque jour devient ma véritable nature.

Thèmes : Faust, l’anneau de Möbius et l’écriture
1.Faust
Le mythe de Faust et le commerce des âmes sont au centre de mon unique livre. J’en propose une version située au Nicaragua des années 1980, pendant la révolution sandiniste. On y voit un jeune internationaliste intrigué par une légende paysanne selon laquelle il serait possible de conquérir amour, connaissance, fortune, et gloire en signant un contrat de vie et de mort avec une sorte de diable. Ce dernier est une forme syncrétique de Méphistophélès et de divinités précolombiennes. De pauvres hères s’adressent à lui pour quémander une réduction de leurs souffrances en échange de leur âme. Après avoir écouté mille variantes de cette légende, notre internationaliste rencontre celui qui leur propose de tels contrats.

Il n’est point besoin d’être Goethe pour devenir un Faust. Tout humain, même le plus indigent et le plus ignare, peut vivre une telle aventure. La preuve en est le défilé de gueux que l’on voit ici et partout aujourd’hui, qui sont prêts à tout. La preuve en est aussi notre internationaliste, jeune Faust idéaliste que son ambition littéraire a poussé à jouer avec le feu. “Sabemos estas cosas, pero non las que sintió al descender a la última sombra”. J.L. Borges, El Hacedor.

2.L’anneau de Möbius
Cette figure de géométrie de l’espace est la forme de mon oeuvre. J’en ai imprimé la première version sur un rouleau de papier de cinquante mètres de long. Les deux extrémités en furent collées ensemble, non pas en vis-à-vis, recto sur verso, ce qui aurait produit une vulgaire structure annulaire, mais en torsion, c'est à dire recto sur recto. Cette opération littéraire confère à l'ensemble les propriétés de la forme présentée par Möbius à l'Académie des Sciences dans sa communication de 1858.

Mon livre possède ainsi la structure physique, psychologique et philosophique d'un anneau de Möbius symbolique, surface non orientable, à un seul bord et à un seul côté. On peut en parcourir l'endroit et l'envers sans changer de face. L’aventurier qui lit ce livre retrouve donc son point de départ de l'autre côté de la bande de papier, au terme de ce qui semble être un tour complet de l'anneau. Il lui faudra en effectuer deux tours complets pour retrouver quelque chose qui lui semblera être son point de vue initial, mais ne le sera jamais plus, car il s’est métamorphosé. Oscar Wilde disait : « Je ne lis jamais La Tentation de Saint Antoine, de Flaubert, sans y mettre à la fin ma signature ».

3.L’écriture
Mon ignorance borne mon écriture. Un scribe qui ne sait pas le sumérien, quel genre de scribe est-ce là ? (Dicton Akkadien du deuxième millénaire avant J.C.). Je rêve un rêve dans un monde de rêve, j’apprends le sumérien.

Mon ignorance fait de moi un apprenti et un manchot. Certains diront qu’il est des manchots célèbres. Le Christ manchot, par exemple : On le trouve dans ces églises brûlées, détruites par les guerres et les tremblements de terre, dans les ruines de monastères, dans les sacristies, dans les caves et les greniers des prieurés, mais dans tant de foyers pauvres, là où ses bras étaient trop faibles pour porter son corps. Ses mains, ses coudes sont restés cloués sur la croix, et ils ont été égarés, ces bras et cette croix qui criaient victoire, préfiguraient Pâques. Ne reste qu’un corps manchot, impuissant, débris de bois, ou de métal, ou de plâtre, ou d’ivoire, qui nous interroge. Il est muet. Son sang a séché. Ses yeux ne regardent plus. Il gît sur l’étalage de notre marché aux puces mondialisé. Chaleur de nos mains sur ses flancs, sur ses jambes, de nos doigts sur ses blessures, sur sa face. Nous sommes peut-être lui, je suis peut-être lui.

Le Bouddha manchot semble exister aussi, parmi tant d’autres qu’on ne peut nommer. Un collègue romancier a cité tendrement un maître zen du neuvième siècle, lequel aurait déclaré : « Les mots saint et profane sont des mots creux. Nos saints sont de vieux cons puants. Les boddhisattvas sont des trimballeurs de fumier. Les notions d’éveil et de Paradis sont des piquets pour attacher les ânes. Bouddha est un vieux bout de bois, une merde. »

Les religions sont des horizons supérieurs de l’ignorance, mais l’écriture se nourrit des Ecritures. Qu’elle soit de la plume d’un aigle ou de celle d’un vautour (ou bien encore d’une plume d’oie ou bien encore digitale), toute écriture se nourrit de l’écrit, avec ou sans majuscule. De l’écrivain, c’est la vie. Beckett disait (à propos de qui ? on se le demande) : « They say, that is not his life, he does not live on that. They don’t see me, they don’t see what my life is, they don’t see what I live on, and they say, that is not his life, he does not live on that. »

Bibliographie

- Le miroir du Charco Verde (Belfond, 1989)

Extraits

Sur la digue de béton
Sur la digue de béton, des commerçants déplaçaient des caisses de bière, de rhum, de victuailles. Ils échangeaient des plaisanteries avec un groupe de corpulentes commères qui revenaient du marché, le tablier de dentelle sali par le travail et le soutien-gorge gonflé de billets de banque. La nature avait doté ces dames de glorieuses poitrines : mais n'y avait-il pas méprise? N'était-ce pas à l'inflation qu'elles devaient d'être aussi séduisantes ? La crise économique rendait les femmes plus désirables.

Les gens parlent sans savoir
Les gens parlent sans savoir. Tenez, dans ma propriété, j'ai un petit étang vert. Le Charco Verde. Les gens l'appellent ainsi à cause de sa couleur. Des eaux bien vertes; parfois, elles changent de couleur. C'est selon le ciel. Eh bien, les gens racontent... ce qu'ils vont chercher, tout de même ! Ils disent qu'au fond de cet étang habite un démon. Oui, un démon ! Chico Largo ! C'est son nom. Il y a toute une légende... Eh bien ! Les gens prétendent que je travaille pour ce Diable, que je lui ai vendu mon âme ! Et je ne sais quelles autres sottises encore. Imaginez-vous une situation pareille ? Moi, ça m'amuse. Une chose est certaine : il y a un bon paquet de gens dans le pays qui croient à ces sornettes ! Et j'en ai vu défiler, Monsieur, des idiots qui venaient ici chez moi... « Pour se vendre », comme ils disent. Oui, pour se vendre, Monsieur! Et ils viennent me consulter, moi ! Qu'est-ce que je sais de ces choses-là, moi? Nous... entre nous... qui savons... nous pouvons en rire, n'est-ce pas ?
(Le miroir du Charco Verde, Belfond, 1989).

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

Types d'interventions
  • Ateliers d'écriture en milieu scolaire
  • Rencontres et lectures publiques
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Résidences
  • Rencontres en milieu scolaire