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Les écrivains / adhérents

Arnaldo Calveyra

Poésie / Roman / Théâtre

Né le 23 février 1929 à Mansilla - disparition le 15 janvier 2015 à Paris.

Professeur de Lettres classiques, Université nationale de La Plata, République Argentine, année universitaire 1956.
Maître assistant associé à l’Université de Rouen, en 1979-1980 et 1980-1981.
Chargé de cours à L’université de Paris III-Sorbonne Nouvelle, 1981-1982.
Traducteur-interprète de conférence auprès de l’ACTIM (Agence pour la Coopération Technique, Ministère des Affaires Etrangères de France).
Traducteur indépendant auprès de l’Unesco.
Décorations :
Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres (France, Ministre de la Culture, 1986)
Officier des Art et des Lettres (France, Ministre de la Culture, 1992)
Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres (France, Ministre de la Culture, 1999)

Bibliographie

- Cartas para que la alegría, poésie, Cooperativa Impresora y Distribuidora, 1959
- El diputado está triste, théâtre, Editorial Leonardo, 1959
- Moctezuma, Collection Théâtre du Monde Entier, Éd. Gallimard, 1959, traduction de Laure Bataillon
- Latin American Trip, théâtre, Monte Avila Editores, 1978 (Version espagnole)
- Lettre pour que la joie, poésie, Éd. Actes Sud, 1985, traduction de Laure Bataillon (deuxième édition en 1997)
- Iguana, iguana, poésie, Éd. Actes Sud, 1985, traduction de Laure Bataillon
- Journal du dératiseur, poésie, Éd. Actes Sud, traduction de Claire Durovray, 1987
- Bleu portègne, texte sur un album de photographies du port de Saint Nazaire, Éd. Arcane 17, traduction de Françoise Campo-Timal, 1987
- Cartas par que la alegría e Iguana iguana, poésie, Éd. Libros de Tierra Firme, 1988
- L’éclipse de la balle, théâtre, Éd. Papiers-Actes Sud, traduction de Florence Delay, 1988
- Los bares / Les bars, poésie, Éd. Les yeux ouverts, traduction de Laure Bataillon, édition bilingue, 1988
- Le Lit d’Aurélia, récit, Éd. Plaza y Janés, 1990
- L’origine de la lumière, contes, Éd. Actes Sud, traduction de Françoise Campo, 1992 (seconde édition 2003)
- Palinure, poésie, Éd. Tarabuste, traduction de Laure Bataillon, 1992
- Anthologie personnelle, poésie, Éd. Actes Sud, compilation de Florence Delay, 1994
- El hombre del Luxemburgo, poésie, Tusquets Editores, 1997
- L’homme du Luxembourg, poésie, Éd. Actes Sud, traduction de Florence Delay, 1998
- Si l’Argentine est un roman, roman, Éd. Actes Sud, traduction de Claude Bleton, 1998
- La cama de Aurelia, récit, Tusquets Editores, 1999
- Morse y otros textos, anthologie poétique, Éd. Mate, 1999
- Le livre du miroir, poésie, Éd. Actes Sud, traduction de Silvia Baron, 2000
- Si la Argentina fuera una novela, roman, Editorial Simurg, 2000
- Libro de las mariposas, poésie, Alcíon Editora, 2001
- Bibliothèques idéales (ouvrage collectif), dixième édition de Lettres sur Cour, Le temps qu’il fait, 2002
- Paris par écrit, Vingt écrivains parlent de leur arrondissement, Éd. de l’Inventaire de la Maison des écrivains, 2002
- Maïs en grégorien, poésie, Éd. Actes sud, traduction de Anne Picart, 2003
- Le livre des papillons, poésie, Éd. Le temps qu’il fait, édition bilingue, traduction de Anne Picart, 2004
- El origen de la luz, contes, Editorial Sudamerica, 2004
- Tres hombres, poésie, ed. Eloísa cartonera, 2005
- Maizal des gregoriano, poésie, Ed. Adriana Hidalgo, 2006
- Journal de Eleusis, poésie, Éd. Actes Sud, traduction de Claude Bleton, 2007
- Dossier in « Diaro de poesía » n°69, décembre 2004 – mars 2005
- Revues « Triages » n°18, Juin 2006, dossier préparé par Jams Sacré
- Collaboration à la revue Sur, Diario de Poesía, Clarín, La nouvelle Revue Française, les Lettres Nouvel-les, l’Âne, la Revue de deux océans

Théâtre
- El diputado está triste, Théâtre Universitaire de Cordoba, Argentine, 1966 (metteur en scène : Carlos Giménez)
- Latin American Trip, Comédie des deux rives, Ottawa, Canada, 1978 (metteur en scène : William Weiss
- Latin American Trip, Théâtre de la cité Universitaire, Paris, 1978 (metteur en scène : Jean Bollery)
- Cartas de Mozart, Centro Cultural « San Martin » de Buenos Aires, 1986 (metteur en scène : Gustavo Schwartz)
- L’éclipse de la balle, Théâtre des Quartiers d’Ivry, 1987 (metteur en scène : Catherine Dasté), Théâtre de la criée, Marseille, 1988

Extraits

Maïs en grégorien, Éd. Actes Sud, Traduction de Anne Picart, 2003

Deux heures du matin. J’écoute la chanson inventée par un bègue. Son seul désir la met en marche, l’air se raréfie peu à peu. A cause de ce qu’elle est, de l’air, la chanson se raréfie, s’absorbe dans des voyelles tout juste venues à l’esprit, glisse entre les saintes qui s’inclinent doucement dans leurs niches en offrant le nard serré par leur main délicate. Sur toute sa longueur, sa largeur, sa hauteur, la nef de l’église est parcourue par des murmures de noms : elle murmure, écho du murmure des nouvelles. Et voici la chanson soudain intéressée, elle commence à désirer que quelque chose, quelqu’un dans l’enceinte, reste un trésor caché, un jardin secret.

A force d’entêtement, d’obstination, la chanson évolue dans l’espace de l’enceinte. Peu à peu l’enceinte et l’espace trouvent une assise, un lieu entre l’air et elle. Chanson aux voyelles extatiques, en même temps déclinées : temps entre la chanson et l’air. Elles trouvent ce qu’elles cherchent tout en continuant à se mouvoir.

A force de lente obstination, elle finit par s’enflammer, elle s’enflamme en montant des cordes vocales des moines. Peu à peu elle trouve une place, l’air – l’air et elle – chanson qui est temps, nous et mémoire, elle chante, chante pour elle-même. Elle trouve ce qu’elle cherche et continue d’évoluer entre les bancs. J’en devine les traces, je suis spectateur de ces traces, chanson inventée par un bègue.

Des ailes se déploient, traces de bégaiement entre les bancs, les allées. L’ondulation de la chanson revient. Lieu pour l’air et pour elle, chanson faite de lys qui se putréfient. Voyelle que l’on vient de proférer dans la nef de l’église où nous sommes réunis. La chanson continue d’évoluer parmi les saintes qui s’adossent au mur sitôt que nous les regardons. Voyelles bercées par quatre murs. Les chanteurs, les saintes, un nard glissé dans la main, un autre entre les lèvres.

Nous venons d’assister au spectacle autour d’un plat incandescent et d’une danse. Et moi, homme du pays d’Entre Ríos, venu chercher une retraite silencieuse à l’abbaye de Solesmes, je m’assois dans un endroit reculé de l’église pour écouter le grégorien qui gonfle comme un champ de maïs de part et d’autre de la nef, pour atteindre les berceaux de la voûte tiédis par la lumière des cierges. J’écoute le moine à ma droite, debout contre une colonne, en quête de notes qui s’aiment.

Auquel de ces deux fleuves le voyageur a-t-il prêté attention ? Lequel de ces deux fleuves a conversé avec la mer ? Quel est le fleuve virtuel et celui de l’esprit ? Le chant vacille-t-il quand l’imagination faiblit ? Homme sans âge, moi qui écris ces mots, ni grand ni petit, sans signes particulier, venu du pays d’entre deux fleuves, j’écoute la plainte du grégorien sans rives, je cherche dans les caissons du dôme la raison de mes envies de silence.

Mais en grégorien qui ondoie, né des crêtes et des collines dans la Mésopotamie argentine. On dirait la chanson inventée par un bègue, par la force de son désir il aurait fini par la mettre en marche dans l’enceinte d’une pièce vide : à présent, plus l’ombre d’un bégaiement. Le chant, libre, conserve les traces d’anciennes hésitations, la chanson, sans point d’appui, sans ligne précises, avec une mélancolie toute confiante, entre alors en relation avec lui. Tous deux s’amusent à se donner des noms, à échanger des horizons, des noms de musique inconnues, l’air alentour trouve alors une assise, un lieu pour l’air – tout autour temps et chanson. Chanson laissée pour morte dans les collines près des côtes de l’Uruguay et sortant à présent de la bouche de quelques moines.

Quelles cordes vocales pourront retenir cette chanson avant qu’elle disparaisse ou se perde ? Une voyelle à froid commence à s’enflammer – enclose, indifférente, détachée. Entre elle et nous il ne reste plus d’air. Une seconde voyelle se propage en direction des saintes postées dans leurs niches de verre. La nef de l’église parcourue de noms paraît, haute, large. Elle trouve un lieu pour l’air et pour elle – lieu qui est tout ensemble l’air et elle –, une voyelle extatique chante, chant et temps entre elle et nous, chanson qui est temps, nous et mémoire. Elle chante, chante pour elle-même. Ange transi sur la droite. La voyelle anesthésiée s’écarte du mur.

A présent que la lumière des cierges décrit mon silence, par rangées, par rafales, le grégorien gonfle comme maïs, anabase en noir et blanc, il monte et redescend d’un ciel. Je sors mon cahier et commence à écrire le livre qui s’esquisse à peine.

Miroir avançant avec la mort, caché par Salomé qui surgit par-derrière. Instants du regard du prophète. Caché par Salomé, miroir retourné, les yeux du prophète sont devenus aveugles, des yeux où toute image est désormais insoutenable.

L’homme du Luxembourg, Éd. Actes Sud, traduction de Florence Delay, 1998

Un homme habitué à déambuler à travers la ville, à marcher comme marchent les gens qui vont quelque part habitué à revenir à la maison pour figurer, quand il se couche, sur le livre de comptes des nuits et que ses pas retardent, dérobent aux événements de la rue, en ce moment précis, ne sont-ils pas en train d’être changés en mots ?
Réfléchissant à quelque chose qui lui est arrivé il y a longtemps. Prudemment, avec une délicatesse infinie, pour la centième, la millième fois, comme s’il dépaquetait un bijou entouré de papier journal, il s’applique à dessiner cette chose sur le brouillon de la mémoire.
Capable de dessiner, à force de la connaître, avec une certaine adresse et même – pourquoi ne pas le dire ? – une aimable indifférence. Mais voilà que, pareille à un jeune poulain blanc lancé au galop, délabrée, pitoyable, souvenir, elle recommence à advenir.
L’extraire comme une épine logée dans l’âme, sa piqûre, à force d’irradier chercherait-elle à lui faire mal au-delà du corps ?
Le temps ne serait-il pas en train de le changer, lui, en bouillon de ce souvenir ? Pour ne pas buter contre, il s’arrêterait presque, cheval au galop en pleine nuit qui pressent la proximité d’un fantôme.

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris