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Les écrivains / adhérents

Dominique Conil

Roman / Essais
photo Dominique Conil

Je suis née à Bellevue-Meudon, dans une famille où l’écriture était une vraie plaie, une obsession. A la suite de quoi, je n’écrivis pas, voyageai, m’amusai, militai et vécus. Suivirent pas mal d’années journalistiques, à Libération longtemps, puis ailleurs, quelques aventures (l’Autre Journal et récemment l’Impossible, en trop bref) . Pendant ce temps-là, pas mal de carnets remplis s’entassaient dans le placard.
Finalement, il apparut que le plus intéressant, quand on écrit, c’est ce que l’on ne sait pas déjà. Depuis je vis entre Paris et une maison dans l’Ouest où parfois je ne vois pas un être humain pendant une semaine entière.
Au nombre des aventures récentes : critique littéraire pour le quotidien en ligne Mediapart. Ce qui signifie seulement donner envie de lire, parfois. Et une mission Stendhal en Russie pour un roman en cours.

http://www.mediapart.fr/biographie/51766
Bibliographie

– Justice en France, Flammarion, 1996 (essai et enquête)
– En espérant la guerre, 2008, Actes Sud (prix Inaperçu Ignatius O’Reilly 2009, prix Simenon 2009)
– Une fille occupée, éditions Actes Sud, 2011.
– Anna Politkovskaïa, non à la peur, éditions Actes Sud, 2012

Extraits

Accidents de la vie à N.
publié dans L'Impossible N°2

« Vous ne donnez pas le nom du village, ni rien ? C’est pas pour l’enfoncer ? »
« Non, y aller, le voir ».
« Ah, et après vous brodez ».
« Ah non. Pas broder. Broder, non. »
« Parce que c’est quoi la vérité pour cui-là ? »
Celui-là, Marc, quarante-six ans, éleveur, qui a laissé mourir quarante bêtes et plus. « Oubliées », ce fut son mot. En plein été, sous une lumière blanche et rase, la télévision est venue filmer le charnier.

Nous roulons tous les deux, Brice et moi, il flotte. Schrounk de l’essuie-glace, étangs débordants derrière les hautes haies, moutons nus du printemps, vaches brunes et vives, ici il n’y a rien à voir, il y a seulement à regarder. L’eau et l’eau et du vert, silence ouvert de l’Ouest avec chuintement de pneus. Brice conduit, j’insiste, broder, non, déjà attraper un fragment de vérité, pas si mal. « Oui d’accord», dit Brice, ca doit être là l’embranchement, dans mon souvenir ».
Brice, il a eu un accident de la vie, comme il dit, il est au chômage et pour longtemps peut-être, il adore conduire, mains tranquilles sur le volant, cils pâles battant rapidement devant la route étroite, soudain éblouissante goudron luisant, repassant à l’obscur sous les arbres. « Alors, dit-il, « la vérité ce serait les journalistes ça je ne crois pas ». Avant, il allumait la radio en un seul mouvement, clé de contact-radio, toujours de tonitruantes émissions, maintenant il préfère parler.
Nous passons une boîte aux lettres sans nom, comme souvent ici, nous remontons une très longue allée, ces arbres anciens qui deviennent rares, car ils gênent le passage des engins agricoles de type Midwest, et les chauffeurs des laiteries se plaignent, toujours une branche pour vous râcler le toit. « Je dis ça, continue Brice, parce qu’ici on sait tout on voit tout, on sait rien en même temps, moi je me gare au tournant, vous y allez à pied après, ça ne doit pas être loin ».

On ne sait pas comment l’inspection sanitaire est arrivée l’été dernier à la ferme des Planches, commune de N. Un homme seul, barbu et décoiffé, dès les premières questions a dit comme soulagé les vaches sont mortes, les moutons sont par là, avec un geste vague. Les moutons étouffés de laine étaient gisants, pattes brisées souvent. Aucun n’a été sauvé. En descendant vers l’étang, dans un creux, un amoncellement de cornes et de têtes et de squelettes, brûlés, recouverts d’une bâche en plastique noir. Des gens ont pleuré, quelqu’un a dit que ça le faisait penser à un western, les os de bovins morts dans le désert, mais les curieux ne sont pas restés longtemps, ça empestait. Finalement, comme personne ne savait quoi faire de Marc, et que le sous-préfet, les services, tout le monde était reparti - profondes empreintes de pneus dans la boue – on l’a laissé où il était. Pendant plusieurs les jours les volets sont restés tirés.

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques