Contenu | Navigation | Politique d'accessibilité | Crédits Lettre internet

Les écrivains / adhérents

Hella Feki

Roman / Essais
photo Hella Feki

Née à Tunis, de père tunisien et de mère française, elle vit en France depuis l’an 2000. Professeure de lettres et théâtre, formatrice d’enseignants, elle a écrit régulièrement des articles pour la revue L’école des Lettres, et a contribué à l’écriture de l’ouvrage collectif, coordonné par Sylviane Ahr : Vers un enseignement de la lecture littéraire au lycée (CNDP Grenoble, 2013).
Elle a enseigné en France, en Inde, en Équateur, au Sénégal et à Madagascar. Entre 2017 et 2021, elle a été conseillère pédagogique pour la zone Océan indien de l’AEFE (Madagascar, Maurice, Comores, Seychelles). Elle a également contribué à de nombreux projets de coopération éducative et culturelle avec l’Ambassade de France à Madagascar, comme la création d’une maquette de formation pour les professeurs malgaches et l’organisation de deux éditions d’un salon du livre, la Semaine de Littérature Jeunesse de Tananarive.
De retour en région parisienne depuis septembre 2021, elle est professeure de lettres et formatrice d’enseignants (Formatrice en Master MEEF, Master Métiers de l’Éducation, de l’Enseignement et de la Formation à l’Université de Nanterre, Formatrice pour l’EAFC (École Académique de la Formation Continue de l’Académie de Versailles). Elle fait partie de groupes de travail et est spécialiste en didactique de la lecture et de l’écriture. Elle anime également des rencontres publiques et des ateliers d’écriture en milieu scolaire.
En août 2020 paraît son premier roman, Noces de jasmin aux éditions JC Lattès (« La Grenade ») pour lequel elle est lauréate du festival du premier roman de Chambéry.

Bibliographie

Éditions JC Lattès :
- Noces de jasmin (rentrée littéraire, 2020, Livre de Poche, février 2023, traduction en arabe, El Aedoun, Jordanie, avril 2023)

L’École des Lettres
« Comment faire évoluer des écrits d’élèves en décrochage scolaire », juin 2015, p.83-94
- « Du cahier de lecture au blog », 2014
- « Rencontre avec Marylines Desbiolles. Un projet culturel et artistique en classe de seconde », 2014

Ouvrages collectifs
- « Faire évoluer les écrits d’élèves de 1ere STMG en décrochage scolaire », Le Français écrit au siècle du numérique : enseignement et apprentissage, octobre 2015
- Articles (p.46-49 / p.89-91), Vers un enseignement de la lecture littéraire au lycée, AHR, CNDP Grenoble, 2013
- « La formation à distance des néotitulaires de lettres », Études de linguistique appliquée, n° 160, Klincksieck, 2010

Extraits

Noces de jasmin, Éditions JC Lattès, Label La Grenade (août 2020)

Extrait 1 : Mehdi, La geôle, Tunis matin du jeudi 6 janvier 2011

La cellule est toute petite. Trois mètres sur deux. Une faible lumière pénètre d’une minuscule fenêtre. Un peu d’air frais aussi, mais trop peu pour chasser la lourde odeur d’urine. Et des bruits, au loin, qui me parviennent de l’avenue Bourguiba. Dehors, la Tunisie s’embrase. Les quartiers brûlent.

De la fenêtre étroite, je trouve un coin de ciel, je pense à ces hommes dans la rue, partout, dans le pays, le poing en l’air, épaules contre épaules.

Il y a trois semaines, un homme s’est levé et a immolé le silence de la Tunisie. Lui, Mohamed Bouazizi, l’aîné de la famille, réduit au chômage, voulait simplement vendre des fruits et des légumes pour survivre. Après qu’une femme lui a craché à la gueule, les flics lui ont confisqué son étal roulant parce qu’il n’avait pas obtenu de permission de vendre. Il n’a pas supporté cette humiliation. Il a mis le feu à ses vêtements, il s’est immolé, sous le regard de tous. Et la révolte s’est répandue, dans les régions reculées d’abord. Notre président, inquiet, est rentré précipitamment de ses vacances dans le Golfe et a rendu visite au blessé, à l’hôpital des grands brûlés de Ben Arous. Il a senti la tension monter. Le 28 décembre, dans une allocution présidentielle, il promet des solutions au chômage. C’est une première.

Mohamed Bouazizi est mort, il y a deux jours. Hier, cinq mille personnes à son enterrement. Aujourd’hui, la flamme est allumée.

Mon esprit vagabonde. Je pense à l’avenir. A celui du pays. Au mien. À celui d’Essia, la jolie métisse aux cheveux clairs, crépus, à la peau mate, aux yeux verts, que j’ai rencontrée, il y a un mois, au milieu des livres.

Je ne sais pas ce qui m’attend. Je ne sais pas ce qu’ils me feront. Eux, ceux qui m’ont enfermé dans cette toute petite cellule sombre à l’odeur pourrie d’urine. Eux, les flics, qui m’ont coincé ce matin dans la rue et emprisonné dans le sous-sol du ministère de l’Intérieur, devant lequel on évite en général de prendre le trottoir. Mes mains tremblent, j’attends sans savoir, et le doute me terrorise. Enfin, tout dépend de ce qu’il se passera dehors. Je ferme les yeux. Je me remémore ce que j’ai accompli. Je pense au destin aussi. Le destin, on croit lui donner rendez-vous. On estime pouvoir le façonner. Aller vers son futur. L’orienter vers une vie heureuse. Trouver amour, sérénité et apaisement. Mais le destin empoigne qui il veut, quand il veut, s’il le veut. C’est lui qui vous choisit. Parfois avec cruauté. Trop souvent, il bouleverse votre petite histoire bien ficelée, rangée sur une étagère, prête à prendre la poussière. Voilà ce qui m’a traversé l’esprit, assis dans ma cellule humide, dans ma niche de kelb. […] J’ai 28 ans, je suis journaliste, j’essaie de vivre ma passion, et ma vie peut bientôt finir écrasée sous la folie d’une poignée d’hommes.

Mehdi, La geôle, Tunis matin du jeudi 6 janvier 2011, Premier mouvement, Obscurité désemparée, Noces de jasmin, Paris, éditions JC Lattès, 2020, pp.13-15

Extrait 2 : La Cellule, Mémoire de pierres, Tunis matin du jeudi 6 janvier 2011

Je les ai tous vu passer, les uns après les autres. Leurs cris, leurs pleurs, leurs pas, leurs peurs imprègnent mes murs. Ils ont tous uriné dans l’espace confiné que je leur offre, avec pour seul horizon cette minuscule fenêtre. Quand ils sont là, ils s’interrogent, ils se demandent ce qui va leur arriver. Mais moi, je le sais. Je sais qu’à tout moment, un flic débarquera, et qu’il les emmènera, là-bas, dans les sous-sols sombres et humides. Je sais que quelques heures après, ils reviendront ici, tachés de sang, inertes, et que leur destin ne sera plus entre leurs mains, mais en la Providence. Et puis, les uns après les autres, ils vont s’affaler là, glisser contre les murs, inscrire leur présence par cette odeur de peur qui se mêle à celle de pisse et de merde, et laisser leur empreinte ensanglantée sur le mur.

J’en ai vu passer des prisonniers, toutes ces décennies, tous pour le même motif, « ivresse et tapage ». La vérité, ils me la susurrent à l’oreille, le long des murs. Ils me la chuchotent. Quand la vérité est trop gênante, j’assiste à la belle mascarade d’une mise en scène de leur suicide. Les morts consécutives aux violences policières sont maquillées : on les pend.

La Cellule, Mémoire de pierres, Tunis matin du jeudi 6 janvier 2011, Premier mouvement, Obscurité désemparée, Noces de jasmin, Paris, éditions JC Lattès, 2020, pp.31-32.

Extrait 3 : Essia, Printemps de janvier, Tunis fin de matinée du samedi 15 janvier 2011

Mehdi m’attend, devant une épicerie, l’air soucieux, le corps amaigri. Au moment où il m’aperçoit, il serre la main d’un homme barbu et me rejoint. Il me jette un sourire et me prend dans ses bras.

Pour la première fois, il m’emmène dans son appartement du centre-ville de Tunis. Il est heureux de me retrouver. Sur le chemin, il ne cesse de passer sa main dans mes cheveux.

À peine sommes-nous entrés chez lui qu’il me serre de toutes ses forces dans ses bras. Il me caresse le cou, les seins, le ventre, les fesses. Il m’embrasse. Je sens son corps se presser contre le mien, sa main descendre vers mon sexe. Nous nous déshabillons avec empressement. Nos mains impatientes explorent la moindre parcelle de peau. Sa langue sur mes seins tendus. Je n’en peux plus d’attendre. Il m’étreint et me dépose très vite sur le carrelage froid, par terre, qui contraste avec la chaleur de son torse. Le désir fou du contact des lèvres, de l’odeur des corps, des caresses qui se répètent. Il entre en moi. Des mouvements de va-et-vient rapides. Le rythme des battements de cuisses. Le basculement de nos corps à la fois oubli et satiété.

Après l’amour, j’enfile l’une de ses belles chemises. Nous fumons. Nous parlons. Je suis brutale. Je ne comprends pas pourquoi il ne m’a pas appelée.

Je lui raconte le commissariat de Sfax. La peur. La torpeur. Les pleurs.

J’ai dû affronter les méandres de l’angoisse, moi aussi. Mes sanglots déchirent l’air. Je le frappe. Il immobilise mes bras. Il me calme. Il couvre mon visage de baisers. Je tente d’enfouir mes larmes, et je laisse du mascara sur le col de la chemise. Il me prend dans ses bras. Il m’apaise. Nous restons ainsi longtemps.
Puis, il se lève et va chercher, dans le frigo de son appartement, une bouteille de champagne. Il la débouche et remplit deux coupes. Il fait tinter son verre contre le mien. Il me sourit. Il me murmure qu’il me trouve belle. Il esquisse un geste vers mon visage et relève une mèche de cheveux. Nos lèvres se rencontrent lentement, dans un souffle plus espacé et plus raffiné. Entre deux baisers, il boit une gorgée de champagne, repose le verre, puis m’embrasse. Nos deux corps se frôlent, se caressent, s’étreignent doucement. Nous faisons à nouveau l’amour. Le rythme est léger, nos souffles s’écourtent. Les caresses se font plus lentes et plus sensuelles. Nous prenons le temps d’écouter la musique de nos corps, de nous emparer du désir de l’autre, de sourire dans les plis de crispation que nous faisons naître sur nos visages. Cela dure longtemps. C’est une révélation, une fête triste et heureuse à la fois. Un moment suspendu, comme volé au temps. Un printemps de mois de janvier, avec ses odeurs d’herbe mouillée et sa lumière voilée.

Essia, Printemps de janvier, Tunis fin de matinée du samedi 15 janvier 2011, Troisième mouvement, Lueurs d’incendies, Noces de jasmin, Paris, éditions JC Lattès, 2020, pp.201-204.

Ma bibliothèque

Mon premier souvenir de lecture : Enfant, ma mère me lisait souvent des contes : des extraits des Belles histoires, et de J’aime lire, aux éditions Bayard. A sept ans, je lisais tout ce qui me tombait sous la main. La Sorcière de la rue Mouffetard de Pierre Gripari fut un récit marquant de mon enfance. La sorcière tyrannisant Nadia fait écho à la Azouzat el Qaila, des contes de ma grand-mère tunisienne. Une légende de vieille fée maléfique des ombres, brûlant la peau des enfants aux heures les plus chaudes.

Mon livre incontournable : Le livre incontournable, pour moi, est L’Amant (1984) de Marguerite Duras. Tout me touche dans ce roman : la rencontre avec « le riche chinois » sur le bac, le Mékong, et surtout la fin, le départ d’Indochine en bateau, la valse de Chopin au piano qui éclate dans la nuit, la musique jetée à travers la mer, le souvenir de l’amant, Paris, l’accent d’un pays qui vous marque, l’ailleurs, la poésie des mots, l’écriture…

Mon coup de cœur absolu : La Statue de sel (1953) d’Albert Memmi, qui est un coup de cœur atemporel. J’étais étudiante à La Sorbonne lorsque j’ai lu pour la première fois La Statue de sel. J’ai été fascinée par l’histoire d’Alexandre Mordekhaï Benillouche, fils d’un modeste bourrelier juif et d’une « bédouine » illettrée, sujet colonial sous la France de Vichy, et fréquentant le lycée Français de Tunis, ce qui lui permet de connaître la culture française qu’il admire. A partir de là, j’ai lu tout Memmi. Les goûts littéraires, chez moi, comme pour l’écriture, c’est une question de nécessité et de plaisir plutôt qu’un choix rationnel. Ce roman m’a vraiment plu car il répond à mes interrogations concernant mes origines et l’histoire de mon pays. J’ai rencontré cet auteur à l’occasion de ce mémoire. Je l’ai revu deux ou trois fois, dont la dernière était en octobre 2019, car nous préparions, au lycée français de Tananarive, un hommage à cet auteur pour son centenaire. J’ai correspondu avec lui, et c’est le premier auteur qui m’a donné envie d’écrire. Il m’avait confié en réponse à l’une de mes lettres, en 2004, « le prix qu’il attachait à la loyauté du style ».

D’autres romans font partie de ma bibliothèque intérieure, dans le désordre : Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar, Illuminations et Le Bateau ivre d’Arthur Rimbaud, Les Bouts de bois de Dieu d’Ousmane Sembène, Le Rouge et le Noir et La Chartreuse de Parme de Stendhal, L’œuvre d’Émile Zola, Manon Lescaut de L’Abbé Prévost, Les Identités meurtrières d’Amine Maalouf, L’Amour au temps du choléra de Gabriel Garcia Marquez,
Le Vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda, Le Temps retrouvé de Marcel Proust, Le Guépard et Le Professeur et la Sirène de Lampedusa, Le Mariage de Figaro de Beaumarchais, Cendrillon et La Réunification des deux Corées de Joël Pommerat, Incendies et Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad, Dans ces bras-là de Camille Laurens, Hiver à Sockho d’Elisa Shua Dusapin, Les jours viennent et passent d’Hemley Boum, Trésor national de Sedef Ecer, Rade Terminus de Nicolas Fargues, Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants de Mathias Enard, Ça raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard, L’Oragé de Douna Loup, Moi, Tituba, sorcière noire de Salem de Maryse Condé, Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, Les Villes invisibles d’Italo Calvino, Le Portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde, les nouvelles de Maupassant, Madame Bovary de Flaubert, Le Tour du monde en 80 jours de Jules Verne, Martin Eden de Jack London, Le Chef d’œuvre inconnu de Balzac, tous les romans de Mohamed Mbougar Sarr et certains de Nina Bouraoui, la poésie arabe – dont certains poètes que je lisais, adolescente, en langue arabe – : Mahmoud Darwiche, Majnoune, Abu Nuwas, Adonis, Abou el Kacem El Chabi… et tant d’autres écrivains encore, j’en oublie certainement !

Lieu de vie

Île-de-France, 91 - Essonne

Types d'interventions
  • Ateliers d'écriture en milieu scolaire
  • Rencontres et lectures publiques
  • Ateliers d'écriture en milieu universitaire
  • Rencontres en milieu universitaire
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Résidences
  • Rencontres en milieu scolaire