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Les écrivains / adhérents

Laure Fardoulis

Roman / Nouvelle
photo Laure Fardoulis

Fille de l’écrivain Michel Fardoulis-Lagrange, ami de Georges Bataille, dont toute l’œuvre est disponible chez José Corti. Philosophe, poète, romancier, il fut reconnu par les plus grands mais resta dans le secret – ce même « secret » qu’il portait aux nues…

J’ai commencé par être peintre, suite à mes études aux Beaux Arts, et dans les années 98-99,
Je me suis mise à l’écriture, tout en référenciant tout au long de mon parcours d’écrivain, mon appartenance à un monde pictural. Mes descriptions, et mes émotions viennent de l’agencement du monde et de celui des couleurs – par ailleurs bien sûr ce sera aussi l’insoutenable légèreté de ce même monde, celui habité par l’humanité, qui interpellera mon émotion. Je suis l’écrivain des affects et des incertitudes humaines, ce sont elles qui feront le « vivier » de mes romans. J’essaie au-delà de la réalité, d’entraîner la vérité du côté de l’étrangeté, celle de la poésie, qui inaltérable, marque et prédispose le mystère : le mystère, le grand mystère, pour moi, se trouve en effet en la poétique errance des êtres, en leurs ombres portées, et ce qui, au-delà d’eux mêmes, trace une énigme, et pourrait les isoler un instant de leur mortalité. Ambitieux !! Mais non achevé... (Suite au prochain numéro)

Bibliographie

Livres publiés aux Editions Joëlle Losfeld/Gallimard
– La Piscine Molitor (prix FNAC, 30 meilleures plumes), 2000
– Bleu Cobalt, 2001
– Peuples des parasols, 2003
– L’Ecrivain et autres nouvelles, 2006

– Bleu, comme la glaise, Maurice Nadeau, 2015
– Gothic, E.S.T édition, préface Zoé VALDES, 2011

en revues
– Une nouvelle « Sidi Ifni » dans la revue Brèves
– Où couve un feu, Europe sur Klossowski

à paraître :
– La Chair du monde, roman
– Eternel Sunchine, roman

Dont 2 avec l’aide du CNL (Bleu Cobalt et Eternel Sunshine)

Extraits

Enfantine dette, nouvelle

Ce que j’aimais là, sur la terrasse d’en face, c’étaient ces petites lanternes à énergie solaire dont la clarté s’amplifiait à mesure que la nuit tombait. Le voisin les avait disposées de façon à ce qu’elles tracent un chemin dans les massifs, agencés auprès d’une cheminée style Le Corbusier, peinte en rose. On distinguait aussi quelques chaises longues alanguies annonçant l’été.
Ces petites lanternes évoquaient des lucioles agrandies, aux yeux blancs, qui, sorties d’un film de John Carpenter, auraient ponctué une éternelle nuit immobile. C’était cette nuit-là que je retrouvais désormais, une nuit posant ses interrogations, trouée par les yeux blancs, indices d’un étrange tracé à suivre, aux abords du ciel.
Je me demandais quel événement avait rompu la trame ténue de mon existence pour instaurer un hors temps dans lequel une réminiscence allait s’écrire comme par-devers moi, maladie envahissant un corps par-devers lui/soi, se propageant sans vergogne, transformant les cellules, me transformant en fantôme.
Du plus lointain remémoré, les mots émergeaient, non pas isolés – comme imbus de leur beauté unique –, mais associés démocratiquement, et dans le plus grand désordre. Alors qu’ils s’instituaient les gardiens du passé, de l’histoire, apparaissant et disparaissant, se mettant en rang, je me sentais prête à légiférer en leur faveur, afin que règne l’ordre ; ainsi étais-je dans la juste descendance filiale et la rédemption de toutes mes « fautes».

Quelles fautes ?

Je multipliais mes lectures à l’ombre de son silence à lui, le père, et tombais dans une héroïnomanie inquiétante : j’étais toutes celles qu’avait transcendé l’écrit.

Broyée par Anna Karenine ou Tess, déchirée par Nastasia Philipovna, fascinée par le destin de leurs sœurs en cortège issu d’une bibliothèque idéale…
Les héroïnes, elles, ne payaient pas le tribu qu’impliquaient leurs actes, elles étaient juste immortelles – et il fallait adopter leur liberté diaphane, sans concession. Ce que je fis dans l’inconséquence et le désordre total, et sans nulle prévision d’avenir. J’incorporais tous les corps ! Cette antédiluvienne manne qu’est la littérature m’entraîna dans ce qui fut considéré comme une « inconséquence chronique de mon caractère ». Une déprogrammation grave de mon âme.

Comment réparer la faute, le péché, cette légèreté chronique palpable m’entraînant à la suite d’aventures multipliées, induites par l’écrit, sinon en m’impliquant dans l’écrit même, cérémonieusement – ce que je n’aurais jamais imaginé –
– et qui m’insupportait, tant la profondeur m’insupportait.

Je voulais rester en bordure des jours car, si j’en effleurais l’autre versant, l’image récurrente de la mort s’imposerait, comme elle s’imposa latente dans l’angoissant silence de mon père, kidnappé à jamais par sa vie qui ne faisait que s’écrire…


Ne rejoignais-je pas, ayant franchi enfin avec tous mes mots l’Achéron opaque et glacé, celui qui avait – l’écrivain disparu, mon père muet – dans le silence de sa pensée, transmis dans ses écrits, étonnamment mythiques, le mystère même des vécus ?


Ne retrouvais-je pas au-delà de sa mort le dialogue toujours aphone qui s’était instauré entre nous – du moins le pensais-je –, dialogue tacite, comme si tout bruit, toute parole auraient pu nous égarer loin d’un ultrason organique et primordial, perçu uniquement par nous ? Combien de temps pourtant avais-je tenu, loin de ma propre écriture ?

Un temps immémorial allait déferler, intact.

Écrire ? Non !
— tant j’étais habitée des âmes romanesques, tant le monde me semblait peuplé d’amis. Il ne me manquait rien.


Lorsque sa mort à lui, mon père, eut lentement détérioré l’image immaculée d’un monde presque parfait, que la douleur prit place, aussi à cause de tous ces mots jamais dits – ce silence était-il complice ou bien n’étais-je qu’une inconnue dans sa perception si distancée du monde –, je fus prise de panique.

N’y a-t-il pas plus cruel songe que celui où vous tentez de toucher en vain, ne rencontrant que le vide, où s’éloigne tout lien avec le réel, seule preuve de votre propre réalité, de votre vérité face à l’autre ?

Dès lors je remontais le temps.

Mais s’agissait-il bien de vérité ?
La proximité de mon père m’épouvantait. J’avais peur de découvrir un secret, son secret, qui aurait bouleversé ma vie, l’étonnement étal et sans réponse de ma vie. Sa vérité introuvable.

Longtemps après sa mort, un signe vint me tourmenter, un signe « extérieur » au néant. Il me fallait combler une béance inconnue et noire qui s’ouvrait et parallèlement restituer, pour une mise en scène capitale, la moindre particule transparente naviguant incognito dans des cieux lourds d’histoire. J’appelais cela « la vérité », et cela devint une obsession : l’ultimatum de mes jours. La vérité n’était-elle pas une déférence à la beauté ? Et cela devint une autre obsession, une blessure ouverte. Car on ne guérit pas de la beauté. Écrire est une réponse. C’était ma réponse.

Restitution iconoclaste du monde, certes, mais qui me rétablit dans ce monde-là, rangé enfin. Non un travail « intellectuel », mais une inspiration sensitive : dans l’approche, la rencontre et le souvenir de l’autre, j’établissais ma dévolution fatale au récit, d’intense et immédiate façon, comme s’il eût fallu tirer l’être du vide sidéral, et le camper debout dans la lumière du temps.


Tous ces mots – ces mots que je n’avais jamais dit à mon père –, aujourd’hui se promènent, facétieux, sur mes pages ; ils cherchent le secret et s’égarent, fuient et, indolents, s’installent sur la feuille. Ils s’écrivent et ne me ressemblent plus, ayant conquis leur indépendance dans un no man’s land où s’affichent parfois la vérité d’un contour, d’une forme, d’une nature qui seraient le décor idéal d’un roman.

Lui, l’écrivain disparu, n’avait pas dérogé à son mystère, comme s’il avait voulu
pouvoir entretenir une plus grande espérance.

Mon père appartenait à sa seule écriture.

Autrement il faisait la cuisine.


***


Tandis que l’immensité s’offre sans restriction, dans l’imbriquement de mes visions, je fais en même temps le deuil de ma vie. La solitude requise pour l’écriture a balayé l’attrait de l’écume des jours. Et la déraison immodeste d’un rendre compte fastidieux me gagne.

L’écriture…

poétique des vécus
clarté des lampes solaires
luciole incorruptible

écriture délivrée de toute puissance
hormis celle du soleil


***


Je suis devant rien
disait Marguerite Duras face à la page d’écriture.

et le vice-consul hurle toujours son silence dans Lahore,
et l’ondée d’été éclabousse Lol V. Stein une nuit dans Calcutta désert,

Anne-Marie Stretter, elle, dans un moment d’absolue frayeur, mesure encore la lenteur du temps…

Laure Fardoulis
Mai 2008

Ma bibliothèque

Anna Karénine /Tolstoï - L’idiot /Dostoïevski - Le métier de vivre / Pavese
La Peau / Malaparte - Fitzgerald - Thomas Bernhard - Bataille - Sade - Blanchot

Philosophie : Gilles Deleuze, Michel Foucault, Nietzsche

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

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