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Les écrivains / adhérents

Nabil Louaar

Roman / Récits
photo Nabil Louaar

En grandissant au coeur des quartiers populaires de Seynod, dans l'agglomération d'Annecy (Haute-Savoie) Nabil Louaar est très vite sensibilisé à la notion de "lien social". À 20 ans, il crée d'ailleurs l'association Point Commun avec des amis d'enfance afin, précisément, de retisser du lien entre les habitants. Fils d'immigrés algériens, il se décrit comme "auteur français qui parle arabe avec l'accent savoyard". Son parcours scolaire, complexe, apporte une certaine diversité à ce cheminement, entre enseignement général et lycée professionnel, goût des matières littéraires, passion du sport. Verdict ? Un Bac STT, une première année de DEUG d'Espagnol, un Brevet d'Etat d'éducateur sportif, avant un service militaire de dix mois. Puis il devient réalisateur en créant sa propre structure audiovisuelle.
L'écriture ? Une suite logique, l'envie de mêler création et rapport à l'autre, l'obsession de donner un sens à son existence. L'écriture permet d'affiner sa perception du monde, d'inviter à la réflexion, d'installer un terrain d'échanges. Nabil parcourt les établissements scolaires à la rencontre des élèves en rappelant qu'il n'y a pas d'autre destin que celui que l'on provoque. Il instaure un dialogue sur des thèmes parfois voués aux caricatures, au manichéisme, et qui demeurent universels. La double-culture, l'intégration, la laïcité, le rapport à la religion. Comment construire une société du vivre-ensemble qui ne s'enlise pas dans les appartenances diverses ? Sans angélisme ni radicalité, son écriture explore en permanence le monde des humains. N.L.

http://nabillouaar.com/
Bibliographie

– Perrier : chantier de vies, Éditions Autre Vue, 2011.
– La Burqa expliquée à ma mère, L'Arbre, 2010.
– Touareg des neiges, Anep (Algérie), 2003. Réédition aux éditions ID Livre en 2004.

Extraits

Le son s'entendait depuis l'ascenseur. Un ascenseur tapissé d'urine et de boutons grossiers et chiffrés, déformés par les brûlures de briquet. J'avais dit à ma mère que je passerais dans la soirée, sans plus de précisions. Le son venait bien de son appartement, je l'identifiais mieux, un son disco et des paroles françaises, Claude François, ressuscité par l'une de ces émissions nostalgiques en forme de compilation. Cloclo masqua le bruit de ma clé dans la serrure, Alexandrie-Alexandra, j'ouvris la porte d'entrée d'un geste sec, tentai de me frayer un chemin entre porte-manteau et programmes-tv, jusqu'à la source de cette instrumentation yéyé. Au bout de ce couloir trop anguleux dont il reste quelques marques sur le front de ma jeunesse, j'aperçus de discrets et assumés déhanchements. La babouche légère et vive, elle virevoltait entre plats de légumes et cassettes de grands classiques algérois. Une louche main droite, le claquement de doigts dans l'autre. La gandoura ne jouait plus vraiment son rôle d'étouffeuse de silhouette : on distinguait par intermittence les courbes déterminées d'une danseuse du ventre chevronnée, contre lesquelles le temps ne pourra rien. J'étais à peu près sûr que ce solo avait démarré en plein service, l'assiette de couscous n'était même pas imbibée de sauce et semblait demander un peu d'attention.
Elle m'aperçut un peu tard, trop tard pour rester sereine. La gêne s'empara de son visage brun dans un demi-sourire qui gela toute idée de mouvement, et qui semblait vouloir justifier ces errements de gandoura traversée par la tempête. Pour une raison inconnue, les secondes se firent longues, silencieuses. De quoi laisser filtrer l'essoufflement d'une maman veuve qui vit encore. Elle se jeta sur la première banalité venue, une histoire de taxe d'habitation, je crois. Je m'empressais de la suivre sur ce terrain vague. Le sablier de notre malaise touchait au but, les mots ne faisaient que tapisser l'instant.
Je suis finalement reparti dans la foulée, prétextant un réveil aux aurores le lendemain, troublé par une-mère-en-fêtes dont les bribes de sensualité s'étaient ligués contre ma méconnaissance de la femme.
La gêne de ma mère me semblait pourtant bien contradictoire avec notre culture d'origine "1001 nuits". La danse du ventre n'est pas née dans le Périgord. Comment construire sereinement sa personnalité entre ces paradoxes ? Chez chacun de mes potes d'origine maghrébine, on trouvait des tapis muraux avec de plantureuses danseuses orientales, à la limite d'une signalétique de type CSA. Chez chacun d'eux également, de longues interrogations et échanges communs sur ces paradoxes culturels qui nous font fuir le moindre bisou télévisé. Toujours les mêmes scènes de syncopes familiales, lorsqu'une publicité impliquant une femme heureuse de son dernier joujou force l'un des membres à se jeter sur la télécommande et à dégainer un zapping désespéré, dans l'espoir de faire apparaitre un numéro "des chiffres et des lettres". Laurent Romejko, le meilleur ami des familles arabes.
Alors on a fini par mettre un mot là-dessus. Un mot surprenant et lui-même truffé de contradictions, voté à l'unanimité dans mon quartier de Haute-Savoie, et je crois, dans de nombreux quartiers en France : le respect.
Ce serait donc le respect, d'après nous, Momo, Abdel, Tarik, Ali, Youssef et moi, le respect, qui donnerait un peu de grandeur à notre incapacité à prendre nos mères ou nos soeurs par la main, vivre différents moments de vie avec elles, des plus simples, le cinéma, la bibliothèque, aux plus profonds, les faire parler d'elles. Je n'en suis pas encore réellement capable mais encore faut-il que les générations futures n'en n'éprouvent plus la moindre crainte. Laurent Romejko n'est pas immortel. Il va bien falloir apprendre à faire sans lui. Je m'étais ainsi aperçu que j'avais rarement été en public avec mes soeurs. Dans l'un de ses derniers romans, Houellebecq met en scène un enseignant qui lorgne sur la beurette du premier rang, avec une idée fixe en tête : le contexte familial -religieux- de l'élève ne peut être que rude et il suffit probablement d'un peu de gentillesse pour conquérir la belle, habituée à une " barbarie" du quotidien. En écoutant mon anecdote littéraire, Momo en veut déjà à l'écrivain, Ali imagine qu'il est possible de retrouver ses coordonnées personnelles grâce à Internet. Mais l'excitation passée, il reconnaissait qu'il ne se sentait jamais tout à fait à l'aise en présence de l'une de ses soeurs. Tarik souriait en signe d'approbation, Youssef voulait nous faire croire qu'il faisait exception à la règle mais n'a pas jamais su nous donner un titre de film qu'il aurait vu au cinéma, accompagné d'une frangine. De là à conclure ensemble que, d'une certaine façon, nous les cachions, il n'y avait qu'un pas.

Extrait de "La Burqa expliquée à ma mère", 2010 @ Éditions de l'Arbre.

Lieu de vie

Auvergne-Rhône-Alpes, 74 - Haute Savoie

Types d'interventions
  • Ateliers d'écriture en milieu scolaire
  • Rencontres et lectures publiques
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Rencontres en milieu scolaire