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Les écrivains / adhérents

Paulette Choné

Essais
photo Paulette Choné

Je ne viens pas au monde comme saute un bouchon de champagne mais, on me l’a dit et répété, la tête serrée dans un instrument métallique qui, vu de biais et de loin, pourrait se confondre avec un fouet pour monter les blancs en neige. D’emblée, les choses n’ont pas l’air de ce qu’elles sont, et par conséquent peuvent pencher du bon côté.

La date est une date signalée, le jour de la fête de saint Nicolas de Myre, qui est célébrée des Pays-Bas jusqu’à la Hongrie en passant par la Lorraine, où mon arrivée est donc marquée par une sorte d’élection modeste. « Elle est bien insignifiante », profère cependant aussitôt une mauvaise fée, tandis que six demi-frères ou sœurs affûtent des armes aussi pointues que dans les contes. Il y a partout, même s’il faut beaucoup de temps pour que les yeux s’ouvrent là-dessus, des follets qui détestent l’élection ou son semblant.

La maison, c’est une ferme, c’est-à-dire un microcosme inimaginable, inégalable, méconnu. Mais mes camarades d’école viennent d’ailleurs, de la sidérurgie prospère des années 1960, dans une petite ville où s’attarde bien trop la bourgeoisie rechignée des romans de Louis Bertrand. D’emblée, les contrastes pétrissent le cœur, le saugrenu et le pathétique habitent chaque brindille et le rire aux larmes deviendrait presque une vision du monde. Déjà il n’y a jamais assez de petits carnets ni de livres, les mots tapissent les jours.

Si l’on me demandait quelles régions de l’encyclopédie comptent pour moi dès le début, c’est-à-dire dès l’enfance et l’adolescence, je répondrais : la philologie (plutôt que l’histoire des arts visuels, dont l’enseignement m’a nourrie – au sens propre comme au sens figuré – pendant plus de vingt années) et les sciences de la nature qui me trouvent à tout instant ébahie, insatiable de curiosité. Plus tard, la philosophie grâce à des maîtres exceptionnels, d’abord un jésuite qui savait tout, puis Raymond Ruyer qui montrait à penser, en artisan et poète des phénomènes.

Comme dans les contes, le dernier né ne comprend pas toujours ce qui lui arrive, ou il lui faut du temps, des tribulations et des épreuves, des rencontres, des voyages, des mots qui sauvent.

http://lepetitmondekrazy.blogspot.com/
Bibliographie

Romans
– Mademoiselle G. Roman, Edilivre-éditions Aparis, 2008.
– Renard-pèlerin. Mémoires de Jacques Callot écrits par lui-même, Le Bruit du temps, 2009

Essais
– Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525-1633). « Comme un jardin au cœur de la chrétienté », Klincksieck, 1991
– L’Atelier des nuits. Histoire et signification du nocturne dans l’art d’Occident, Presses Universitaires de Nancy, 1992
– Le Grand Nancy : histoire d’un espace urbain (avec Jean-Luc Fray et Étienne Thévenin), Presses Universitaires de Nancy, 1993
– Joseph Boillot. Nouveaux portraits et figures de termes pour user en l’architecture, Langres, 1592. Présentation par Paulette Choné et Georges Viard, Klincksieck, 1995
– Georges de La Tour. Un peintre lorrain au XVIIe siècle, Casterman, 1996
– Ligier Richier (en collaboration avec Bernard Noël), Éditions Meuse/ Serge Domini, 2000
– L’Âge d’or du nocturne, Gallimard, 2001
– Le point de vue de l’emblème, éditions universitaires de Dijon, 2001
– Flore au paradis. Emblématique et vie religieuse aux XVIe et XVIIe siècles, Glasgow Emblem Studies, vol. 9
– Le goût de Nancy (en collaboration avec Brigitte Heckel), Mercure de France, 2005
– Jean Barclay. Le Tableau des esprits (1625), édition critique par Paulette Choné et Sylvie Taussig, Brepols, 2010.
– Coquillages imprenables. La vision des formes naturelles et de la ville dans l’emblème, Éditions du Murmure, à paraître
– Cristoforo Sorte, Osservazioni nella pittura (1580). Introduction, traduction et notes, Brepols, à paraitre
– Ripa et l’Europe. Allégorie et théorie politique (1593-1793), Brepols, à paraître
– La Renaissance en Lorraine. À la recherche du Musée idéal (Serge Domini éditeur, mai 2013) - Prix des Conseils généraux de Lorraine 2013 et la Bourse Histoire Eckmann-Chatrian.

Catalogues d’exposition
– Jacques Callot (1592-1635), catalogue d’exposition, Nancy, Musée Historique Lorrain, 13 juin-15 septembre 1992, Réunion des Musées nationaux, Le Seuil, 1992
–Claude Gillot (1673-1722). Comédies, sabbats et autres sujets bizarres, Somogy, 1999

Extraits

Emblèmes et pensée symbolique en Lorraine (1525-1635). « Comme un jardin au cœur de la chrétienté, Klincksieck, 1991
… le menton devient une coquille marine, où s’ouvrent deux rangées de dents petites, régulières, cruelles, laissant voir une langue tirée, épaisse et charnue. La partie supérieure de ces têtes est humaine, d’autant plus déconcertante que détaillée avec le même soin qu’un portrait, elle s’alourdit cependant d’animalité mélancolique. L’effet produit ne se réduit pas à la simple incongruité d’une juxtaposition fantastique. Woeiriot assemble des formes disparates, mais aussi des matières et les sensations qu’elle suggère, de sorte que l’ornement tend vers une insolite violence organique. […] Le graveur a cherché à rapprocher la bestialité morne et la troublante ressemblance avec un visage humain sans beauté, mais pétri de mélancolique intériorité. L’obstination chagrine de ces deux têtes redouble la tristesse du personnage, la représente deux fois sur un mode semi-décoratif ambigu. La joyeuse expansion, l’épanouissement centrifuge des lignes, qui caractérisent d’ordinaire les masques grotesques, sont ici tout à fait absents. Toutes les courbes, les boucles, les festons, les cornes, se referment, se froncent vers l’intérieur des deux figures, vers un centre secrètement rétréci, « restreint ». Seules les deux petites vues d’une ville et de ses remparts aèrent une composition oppressante.


Georges de La Tour. Un peintre lorrain au XVIIe siècle, La Renaissance du livre, 1996
Du même pinceau agile qui décrit le justaucorps de toile d’argent rebrodée de grenades du Tricheur, La Tour célèbre maintenant le luxe d’un satin couleur de rose sèche, un fichu de gaze, un galon d’or, un collier de jais sur une gorge blanche et tant d’autres détails qui sont pur plaisir de l’œil. Quelle promptitude infaillible à noter les multiples finesses de cette scène de prestidigitation féminine ! Le jeune homme, pour avoir cédé à la curiosité de ce que lui réserve la fortune, tout armé de méfiance qu’il soit, en sortira dépouillé des attributs de richesse trop voyants qui ont attiré sur sa personne l’attention des trois « égyptiennes et de leur compagne. […] La Tour, à l’évidence, n’ignore rien des […] accessoires « ethniques » immédiatement identifiables tels que la mante à rayures ou le « bern », la grande coiffure d’osier plate que Bellange plaçait si volontiers dans ses représentations religieuses. La Tour délaisse ce répertoire et pare son petit groupe féminin avec une subtilité tout autre, d’un exotisme vraiment poétique, qui doit toute sa séduction à une lumière rigoureusement répartie et maîtrisée. Le ballet des mains se déroule à mi-hauteur. Les regards se sont laissé aimanter à une courbe parfaite, que rien n’égare.

L’âge d’or du nocturne, Gallimard, 2001
L’académie, communauté idéale, peut aussi être entendue comme un lieu. […] Un tableau d’Adam Elsheimer, peint vers 1607-1608, L’Empire de Minerve (Cambridge, Fitzwilliam Museum), montre un cabinet-atelier, éclairé par plusieurs lampes et chandelles et réchauffé par un grand brasero. Athéna, dans l’attitude de la mélancolie, rêve appuyée à une lance de tournoi. À côté d’elle le peintre est au travail, avec six amis réunis par la conversation et les livres, dans l’enveloppement protecteur de la nuit inspiratrice. S’agit-il de l’humeur mélancolique qui provoque la fureur poétique, créatrice d’œuvres de génie ? Ou plus simplement de l’éloge d’un lieu, atelier et librairie, petite chambre éclairée à la lumière artificielle, qui manifeste l’affinité, l’amitié entre la lampe et l’activité de l’esprit ? Léonard de Vinci remarquait que « les petites chambres ou habitations éveillent l’esprit, les grandes l’égarent ». Gaston Bachelard, le rêveur de La Flamme d’une chandelle, célébrait « les chambres où l’on travaille, les petites chambres où l’on a l’énergie de travailler bien », et Jean Guitton, comparant la chambre de Monsieur Pouget aux intérieurs de Rembrandt, décrit « ce mélange de l’ombre et du clair, cette lumière rare oblique, [qui] forment le milieu le plus propice à la pensée, qui a besoin tout à la fois d’un peu de ténèbres pour se recueillir et aussi d’un peu de clarté pour être excitée par quelque chose qui lui ressemble ». Ce sont les mêmes valeurs méditatives qu’intensifie le tableau d’Elsheimer.

Mademoiselle G., Edilivre- éditions Aparis, 2008
- Alors, Grande Dame, et votre maréchal Tito, qu’est-ce qu’il devient ?
La Grande Dame s’en moquait pas mal, elle était bien contente de ne pas être là-bas, malgré son mari tout amenuisé dans une charrette roulante. Elle retournait en Dalmatie tous les étés, chargés de présents pour sa famille. À cette occasion, la Grande Dame montait dans un mirage, le train de nuit pour Venise. Mademoiselle G. montait aussi parfois dans ce train mirifique, non pas encombrée de colis de ravitaillement, mais munie d’une ou deux valises où elle avait empilé ses masques et bergamasques, ses jupes en forme, ses « sweaters » moulants et ses ballerines.

Renard-pèlerin. Mémoires de Jacques Callot écrits par lui-même, Le Bruit du temps, 2009
Dehors, il est nuit. Je suis, dans mes robes de petit garçon, agenouillé au bord du giron de Zia Mengeon. J’approche des losanges gelés de la fenêtre mon museau fiévreux, et voici que du doigt et du souffle, j’ai dessiné une région ronde, transparente, par laquelle j’entrevois un bout du spectacle de la rue. Peu de chose, mais familier. Juste un fragment de la porte du logis de maître Ambroise, le plumassier. Je devine les ferrures chantournées, le heurtoir en forme de tête de Maure, et devant, une autre tête, dévorée d’un côté par un mal rouge. C’est la trogne tannée et couturée de Georges, autrement dit le Renégat, assis sur sa borne.

Une fine couche de neige poudre les pavés. Devant ce blanc, ce moelleux, je voudrais crier. Or chaque fois que j’avale ma salive, des couteaux de feu transpercent ma gorge, à droite, à gauche. Sur la tablette est une tasse de faïence blanche emplie d’un sirop de cerise coupé d’eau, qu’on me donne à boire depuis que la fièvre m’a pris. C’est un délice que le velours sombre des cerises, et j’entrevois vaguement cette chose vertigineuse : loin là-bas dans un temps sans fond, j’en serai assoiffé et les associerai à jamais à la paix d’un vaste giron d’aïeule.

Zia Mengeon aime à se tenir dans la sallette de devant. Elle reste bien calée, un carreau de tapisserie sous les pieds, dans une chaire à bras où personne d’autre ne s’assied. Elle n’a plus une seule dent, et m’autorise de bon gré à glisser mes petits doigts sur ses gencives lisses. Elle lit à mi-voix dans un livre minuscule, allongé et si étroit que ses yeux bougent rapidement d’une ligne à l’autre.

Le temps me pèse. Le diable rouge se divertit avec ses couteaux au fond de ma gorge et jusque dans mes oreilles. Une fois, j’ai eu si mal aux oreilles que ma mère m’a pris sur elle, non sans avoir protégé sa cotte de satin céladon d’un devantier de même couleur. Ma mère, vive et parfumée, ma mère m’a tenu dans ses bras, et le mal miraculeusement a passé, comme il était venu, en moins d’une heure. A présent ma mère est plus craintive et soigneuse de l’infection que de l’enfer même : elle nourrit un poupon et n’a guère souci de nous autres.

Le verre de la fenêtre est si froid que je frissonne. Mais c’est plus fort que moi : je veux agrandir ma lunette claire dans la glace. Et tout à coup, un grand remue-ménage envahit le pavé, avec des lanternes et des torches. Voilà qu’un morceau d’étoffe bourrue occulte mon petit théâtre circulaire et s’agite. A sa place paraissent la truffe et les babines d’un renard. Cela dodeline au-dessus d’un chaperon timbré d’une coquille. Deux yeux étroits brillent un instant dans l’échancrure d’un pelage roux. C’est mon père !

[…]

Aussi loin que je cherche à me remettre en mémoire mes enfances, c’est ce que j’ai dit que je ramène : déjà grandelet, les sens aiguisés par la fièvre, j’invente par artifice mon instrument de visée, et je découvre le monde. Il ne me faut pas un esprit trop délié pour démêler dans cette primitive confusion le griffonnement que le cours de ma vie a depuis particularisé, agrandi et repassé à l’aiguille.

Lieu de vie

Grand Est, 54 - Meurthe-et-Moselle

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques
  • Ateliers d'écriture en milieu universitaire
  • Rencontres en milieu universitaire
  • Résidences