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Les écrivains / adhérents

Laurence Vanhaeren

Nouvelle / Récits
photo Laurence Vanhaeren

Belge, j’habite les Vosges depuis septembre 2011 où je me consacre à l’écriture, à la lecture, aux mots en général, grâce aussi à des ateliers d’écriture et des corrections orthographiques de sites internet. La randonnée dans les montagnes vosgiennes nourrit mon inspiration, de même que la lecture de André Baillon (écrivain belge 1875-1932) ou la peinture de Paul Klee. Mon chat, Rousseau, comme Jean-Jacques, oui, m’accompagne dans mon écriture. Un écrivain est un être dérangé qui a un chat.

http://www.laudelavallee.com
Bibliographie

Publications numériques à compte d’éditeur
Depuis 2010 :
Publications régulières de nouvelles dans la revue littéraire le Scribe Masqué. (Editions du Masque d’Or).
Publications de plusieurs nouvelles et textes courts au format numérique sur le site de ShortEdition (Paris/Grenoble).

Publications au format papier à compte d’éditeur
– Un vendredi rouge et or, nouvelle publiée dans la revue trimestrielle de l’Association belge des professeurs de français (septembre 2011)
– Ma nouvelle Quinze sous, publiée dans le recueil 1870 – récits et nouvelles, Editions du Masque d’Or (mai, 2012)
– Partie italienne, nouvelle publiée aux Editions du Masque d’Or (juillet 2012)
– Le lien de cristal, recueil de nouvelles, Editions du Masque d’Or (A paraître en janvier 2013)

Extraits

Extrait de Verdict
Ce soir est différent. La jeune dame en uniforme ne s’est pas contentée de déposer un plateau avec quelques éléments tenant lieu de repas. Non, ce soir, j’ai perçu le son de sa voix, une voix sans âme qui m’a fait part de l’information suivante : « Demain, 8 h 00 ». Comme je suis resté interloqué, elle a ajouté : « 8 h 00 précises ; demain ». Dans le mouvement de la porte, un souffle lugubre. A côté de l’assiette, une orange.
Je ne touche pas à ce plateau. Il ne diffère pas de ceux qui m’ont déjà été apportés. Combien ? Depuis combien de temps ? Je ne peux le dire. Peut-être aurais-je dû tenir la comptabilité du temps ; peut-être aurais-je dû écrire ou graver des croix, le prénom d’une aimée ; peut-être aurais-je dû laisser une trace sur un support quelconque, un mur ou un pied de lit. Peut-être.
Pourquoi suis-je en ce lieu ? Je ne sais pas. Un mal ? Oui, un mal. Lequel ? Je ne sais pas ; je ne sais plus. Le temps passe. Sans visites, le temps disparaît. L’air n’a plus aucun parfum ; plus aucun parfum si ce n’est celui aseptisé de l’attente ; de la peur et de l’angoisse. Je pense être arrivé ici au printemps. J’avais reçu une carte de ma nièce ; une carte avec un brin de muguet ; la dernière fois que j’avais lu le mot « Bonheur ». Mais de quelle année ? Le temps s’est échappé. De ce lieu, le temps a réussi à s’évader.
De temps à autre, j’entends quelques pas ; quelques bruits ; des voix, des mots que je ne peux déchiffrer ; le crissement d’une chaise sur un carrelage. Ici, tout est blanc ; ici, tout est terne. Je perçois l’agonie d’un sommier ; je ne suis pas seul. D’autres cellules dans le couloir ; d’autres espaces restreints ; d’autres êtres en attente auxquels on dépose un plateau trois fois par jour. Qui sont-ils ? Je ne les connais plus depuis que l’accès aux couloirs m’est interdit.
Chaque cellule comporte, je le suppose, le même équipement de base : un lit, un fauteuil, une tablette. Une fenêtre trop petite amène un rayon de soleil ou de lune ; occasionnellement. Une fenêtre, une fenêtre impossible à ouvrir. Ici, le suicide est interdit. Le repas nous est servi avec des couverts en plastique ; à la salle de bain, mon rasoir a disparu. Ici, c’est ainsi : l’attente, la souffrance, le silence. C’est ainsi : le couvent de la souffrance. La solitude serait une bonne nouvelle, mais je ne suis pas seul. Dans ce couloir, nous sommes plusieurs. Pourquoi ? Qu’avons-nous fait pour mériter cela ? Je ne le sais pas. « Demain : 8 h 00 ». C’est ce qu’elle a dit. Je dis « elle », car « elle », elle ressemble aux autres. Elle a les mêmes gestes que les autres sauf quand, le soir, elle accepte d’occulter la fenêtre. C’est rare, mais je peux alors dormir au-delà du lever du jour. Quel jour ? Tout est uniforme ici. Tout. Même l’attente.
Ce soir, je voudrais dormir : cela m’est impossible. Comment dormir quand c’est votre dernière nuit ? Vous pourriez vous ? Moi, je ne peux pas. Je regarde l’heure indiquée au-dessus de la porte ; suffisamment haut pour que même en me servant d’une chaise, je ne puisse atteindre l’horloge, la démonter et utiliser une de ses pièces à un quelconque dessein d’évasion. Elle affiche 0 h 53. Il est donc 0 h53 d’un jour dont je ne connais pas la place au calendrier. Il est 0 h 53, d’un jour qui s’appelle « demain ». Il me reste 7 h 07. 7 h 07 à attendre, assis sur ce lit.
On m’a rasé le crâne et on m’a mis une perfusion : un goutte-à-goutte lent et régulier. J’ai le temps de prononcer « un crocodile » entre deux billes de liquide. Des billes, des balles : deux mots, une seule lettre de différence. Des balles de liquide ou des billes d’acier ? Qu’est-ce que cela change ? Rien. Le temps qui passe est un goutte-à-goutte.
Je n’ai plus d’effets personnels. Ils m’ont tout pris, jusqu’à mon alliance. « Nous les rendrons à vos proches » ; cette phrase, je m’en souviens ; c’était il y a longtemps ; très longtemps. Mais quelle sortie ? Quand ? Comment ? Des secondes, des heures, des jours, des semaines, des mois ? J’ose espérer qu’il ne s’agit pas d’années. Un espoir.
Depuis combien de temps n’ai-je plus mes vêtements ? Un tissu bicolore me couvre le corps ; je le crois ligné. Est-ce un pyjama rayé ? Je ne sais pas. Mon lit est propre. Oui, cela, ils y veillent. Pour moi, comme pour les autres. Mais qui sont-ils ? Quand la porte s’entrouvre, je regarde furtivement le couloir. Au début ; plus maintenant. Je suis beaucoup plus faible maintenant. Je me souviens. Le couloir est fait de carrelages unis ; un ton jaune ; jaune urine.
J’entends de temps à autre une porte sortir de ses gonds ; une porte rarement ouverte qui se lamente ; un crissement qui déchire les entrailles. Ce n’est pas la porte d’une autre cellule ; c’est la porte de la chambre au fond du couloir. Depuis un moment, j’entends que l’on s’y affaire : cette fois, c’est pour moi. A 8h00, c’est la porte de ma cellule qui va s’ouvrir ; on viendra me chercher. Ma peau, ma perf. et moi, nous nous rendrons dans la chambre au fond du couloir. Mais qu’ai-je fait pour mériter cela ? Je ne m’en souviens pas.
Pourquoi en suis-je arrivé là ? Je suis innocent. N’ai-je pas droit à un avocat ? Je plaide non coupable. Je n’ai plus la force de crier ; je n’ai jamais eu la force de m’insurger ; peut-être aurais-je dû. A 8 h 00, on viendra me chercher ; à 8 h 00, j’irai dans la chambre au fond du couloir. Un homme que je ne connais pas injectera quelque chose dans ma perfusion ; quelque chose qui s’immiscera dans mes veines ; quelque chose qui traversera mon cœur. Quelque chose ; je ne sais pas quoi. Quelque chose qui tue ; c’est certain.

Lieu de vie

Grand Est, 88 - Vosges

Types d'interventions
  • Ateliers d'écriture en milieu scolaire
  • Rencontres et lectures publiques
  • Résidences