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Les écrivains / adhérents

Geneviève Brisac

Roman / Nouvelle / Jeunesse
photo Geneviève Brisac

Geneviève Brisac est née à Paris dans une famille d'intellectuels de gauche anglophiles.
Une enfance au Quartier Latin et de longues après-midi au jardin du Luxembourg influencent largement son paysage romanesque. La lecture quotidienne par des nurses et des grands-mères de Winnie l'ourson, de Peter Pan et d'Alice au Pays des merveilles donne à ce Luxembourg des airs de jardins de Kensington.
Ce patronyme bien français cache des origines sur lesquelles l'écrivain n'a cessé de s'interroger dans ses romans. Brisac serait une contraction de Baruch rabbi Isaac, ou une francisation du patronyme allemand Brisach.
Tchèque, juive allemande ou roumaine par son père, Geneviève Brisac est arménienne, grecque et turque par sa mère.
Mais des deux côtés de sa famille, on est sartrien et/ou assimilationniste. Aussi est-ce la voie très classique des grandes écoles et de l'enseignement des lettres qui s'ouvre naturellement à l'écrivain après quelques années de gauchisme. Normalienne et agrégée de lettres, elle passe quelques années dans divers collèges d'Aulnay sous bois et Livry-Gargan à transmettre ce qu'elle a reçu.

On la retrouve bientôt éditrice chez Gallimard. Elle dit alors que s'occuper d'écrivains vivants est la racine de toute santé. Elle y publie son premier roman, Les Filles, en I987, Elle est à cette époque critique au Monde des Livres où elle contribue à faire découvrir les femmes écrivains les plus admirées aujourd'hui.
Elle rejoint les Editions de l'Olivier en I994, elle y publie un livre mince et violent, Petite.
Parallèlement, elle devient éditrice pour les enfants et adolescents à l'Ecole des Loisirs, où elle publie de nombreuses jeunes romancières.
Un roman, Week-end de chasse à la mère obtient le prix Fémina en I996. C'est paradoxalement le début d'un éloignement de la scène médiatique pour l'écrivain qui ne se reconnaît pas dans des hiérarchies, une violence compétitive incompatibles avec la création
Les essais se succèdent, consacrés à la défense d'une littérature exigeante qu'elle sait menacée par la balourdise contemporaine, à la défense aussi d'une vision du monde " du côté des femmes " : C'est Loin du Paradis, puis La Marche du cavalier, et enfin, VW, le mélange des genres un essai sur Virginia Woolf.

Elle écrit des recueils de nouvelles, comme Pour qui vous prenez-vous des contes pour adultes, comme les Sœurs Délicata, des romans pour adolescents, parmi lesquels Angleterre. Des romans inclassables et violents qui rencontrent un public principalement féminin qui y retrouve ses angoisses et aussi ses exigences de beauté et de liberté. Des ouvrages traduits dans une douzaine de pays.

Observez perpétuellement, observez l'inquiétude, la venue de l'âge, les déconvenues, la bêtise, vos propres abattements, mettez sur le papier cette seconde vie qui inlassablement se déroule derrière la vie officielle, mélangez ce qui fait rire et ce qui fait pleurer, inventez de nouvelles formes, plus légères et plus durables, tels sont quelques uns des conseils qu'elle aime à dispenser à ses amis.

http://genevievebrisac.com/
Bibliographie

Romans
– Le chagrin d'aimer, Éditions Grasset & Fasquelle, 2018
– Vie de ma voisine, Éditions Grasset & Fasquelle, 2017
– Dans les yeux des autres (L'Olivier, 2014)
– Moi, j'attends de voir passer un pingouin (Alma 2012)
– Une année avec mon père (L'Olivier, 2010)
– 52 ou la seconde vie (L'Olivier, 2007)
– V.W. Le mélange des genres (L'Olivier, 2004)
– Les sœurs Délicata (L'Olivier, 2004)
– La Marche du Cavalier (L'Olivier, 2002)
– Pour qui vous prenez-vous ? (L'Olivier, 2001)
– Voir les jardins de Babylone (L'Olivier, 1999)
– Week-end de chasse à la mère (L'Olivier, 1996)
– Petite (L'Olivier, 1999)
– Loin du Paradis, Flannery O'Connor (Gallimard, 1991)
– Madame Placard (Gallimard, 1989)
– Les Filles (Gallimard, 1987)

Littérature jeunesse
Petite (L'Olivier, 1994), (L'Ecole des Loisirs, 2005)

A L'Ecole des Loisirs :
Angleterre (2005)
Violette et le secret des marionnettes (2004)
Violette et la boite de sable (2004)
Olga et le decision maker (2003)
Violette et la Mère Noël (2003)
Olga fait une fête (2002)
Monelle et les autres (2002)
Violette et les marionnettes (2001)
Pique-nique des ours (Le) (2001)
Olga et le chewing-gum magique (2001)
Si l'ascenseur ne s'arrêtait pas (2000)
Monelle et les footballeurs (2000)
Craie magique (La) (2000)
Olga s'inscrit au club (1998)
Olga va à la pêche (1996)
Olga et les traîtres (1996)
Noël d'Olga (Le) (1993)
Monelle et les baby-sitters (1993)
Champignons d'Olga (Les) (1992)
Amies d'Olga (Les) (1992)
Olga n'aime pas l'école (1991)
Olga (1989)

Participations
– Qu'est-ce que la gauche ?, ouvrage collectif Fayard, 2017
– Rooms, Anthologie (nouvelles), Seuil, 2006
– Les royaumes des elfes, préface de l'œuvre de Sylvia Townsend Warner, (J. Losfeld, 2002)
– Plumes et Dentelles (anthologie de nouvelles, Ramsay, 2005)
– Naissances : récits (Points, 2007)
– Lettres de ruptures : 18 lettres inédites (Pocket, 2002)
– Les contes de Perrault revus par ... (La Martinière, 2002)
– Bonjour Minuit (préface du roman de Jean Rhys, Denoël, 2001)
– La Mayson de Carlyle et autres esquisses, préface à l'ouvrage de Virginia Woolf (Mercure de France, 2001).

Extraits

Les cinq minutes les plus importantes
ou
En apnée

" Observez perpétuellement, observez l'inquiétude, la déconvenue, la venue de l'âge, la bêtise, vos propres abattements, mettez sur le papier cette seconde vie qui inlassablement se déroule derrière la vie officielle, mélangez ce qui fait rire et ce qui fait pleurer. Inventez de nouvelles formes, plus légères, plus durables. C'est ce que préconisait Virginia Woolf , et fidèle disciple, je décidai un beau jour de m'y soumettre. Observer, me répétais-je, cette seconde vie, inventer, me répétais-je, de nouvelles formes, n'est-ce pas le but plus ou moins avoué de n'importe quel écrivain ?
Je sortais, il faut le dire, d'une sale dépression, observer mes propres abattements, je comprenais ce que cela pouvait vouloir dire.
Depuis quelques années, je travaillais à un gros roman. Je dis ces mots délibérément et sans sourire. Enfin presque. Ce gros roman, tout le monde m'en parlait. Il faudra bien que tu t'y mettes, me disait-on et ces locuteurs étaient les mieux intentionnés du monde. Arrête d'écrire des nouvelles, les Français n'en lisent pas. Foin du petit roman féminin, intimiste, nombriliste, montre-nous de quoi tu es capable, ose, comme le disait aussi Woolf à propos de Jane Austen, affronter le monde, sors de la maison, de l'univers confiné des femmes et de la famille, abandonne les enfants, entre dans l'armée des lettres, engage-toi, pense à Joyce, pense à Faulkner, le grand roman est polyphonique et politique. Et cætera. Or j'avais une idée. Je la mis en pratique. Je tenais mon roman, je lui donnai pour titre l'Engagement. Il était plein de personnages, compliqué d' intrigues croisées, avec en toile de fond, une polémique sur la mondialisation en littérature, le marketing, la tectonique des plaques entre le Nord et le Sud, et la scénarisation littéraire. Le tout s'organisait autour des archives d'un grand écrivain mort. Mais quelque chose clochait. Je m'ennuyais. Je faisais - plus ou moins, vous savez comme sont les écrivains, toujours en quête d'évasion- mes heures, mais je m'ennuyais. Je mettais à profit ma connaissance de la littérature contemporaine. Nadine Gordimer, Doris Lessing, Gunter Grass, Vikram Seth, Philip Roth, Jeffrey Eugenidès, V.S. Naipaul, Ian MacEwan, Jan-Christian Grondahl, Russel Banks, et même Zadie Smith, sans parler de mes favoris, Jay MacInerney, le sombre et bouleversant J.M. Coetzee, et Richard Ford lui-même, tout le monde défilait au bord de la piscine toscane où j'avais installé l'intrigue qui les mettait aux prises avec une bibliothécaire et son fantôme. Tout cela restait inerte, Pinocchio était toujours un pantin de bois. Je fis ce que doit, je suppose, faire un écrivain relativement honnête en pareille circonstance, je laissai tomber, me consacrai à mes angoisses ordinaires, et fut jetée au tapis par la fameuse dépression évoquée tout à l'heure. Puis j'écrivis un essai sur les femmes en littérature, leur sens du décalage, de l'ellipse, de l'humour, leur respiration si différente, comme dit aussi Woolf, leur rythme. Le devoir exigeant qui est le nôtre d'être simplement ce que nous sommes, ce qui est si difficile.

Je relus Grace Paley, qui sait si bien donner à de pures fictions l'allure d'un récit spontané. On croit qu'elle raconte, alors qu'elle invente. Ses visites à son vieux père, ses rencontres avec un ex-mari dans la rue, -bonjour ma vie !-, ressemblent aux nouvelles d'Isaac Babel : la vie est là, et la pensée, et la révolte, et la poésie, et le rire, indissociables. Je relus Alice Munro, à l'intelligence généreuse et puissante, qui peint mieux que personne les moments où basculent les vies des pères et des filles, des couples usés, des enfants. Ce peut être une révélation pendant un voyage en voiture, une longue attente dans un motel, une déception de trop, une phrase mortelle. Je pensai à une phrase de Isaac Babel : " Tolstoï racontait toute une journée, moi je me contente de raconter les cinq minutes les plus importantes. Mais ensuite, ce récit rugueux comme de la corde, je le polis, mot à mot, phrase à phrase, jusqu'à ce qu'en jaillisse le son juste. Un point placé au bon endroit peut tuer plus sûrement qu'une balle. " Je relus Loudmila Oulitskaïa, ses pauvres parents, ses histoires d'amour dans les faubourgs du quartier des chats à Moscou, je relus ses histoires pour comprendre comment elle faisait exister si fort une petite fille amoureuse, la consistance d'une vieille couverture sous un escalier, la présence gênante d'une cousine aigrie, le souvenir d'un bouton manquant sur un manteau, comment elle faisait sentir l'odeur d'une soupe à l'orge perlée. Je m'aperçus un jour que toutes ces femmes qui me nourrissaient de leurs histoires, me ramenaient vers la lumière, racontaient des histoires courtes, plus ou moins courtes, certes, mais quand même. Short stories. Et je ne savais pas pourquoi. Je décidai de faire une liste de mes raisons. On écrit avec ce que l'on ne comprend pas. Je notai : attraper la vie, ses détails les plus idiots, sa drôlerie tragique, saisir le moment le plus important, trouver son propre souffle, ne pas s'ennuyer, et surtout polir la phrase. Je fouillai dans ma bibliothèque si mal rangée qu'y chercher un livre revient à ouvrir la Bible n'importe où pour y lire un signe, j'y trouvai un texte de Walter Benjamin, qui disait ceci :
" L'homme jadis imitait la patience de la nature. Enluminures, pierres polies ou gravées, toutes ces productions opiniâtres ne se font plus guère. Le temps est passé où le temps ne comptait pas. L'homme a réussi à abréger la narration et nous avons assisté à l'invention de la short story. "
Oui, me dis-je, le cœur battant, celle qu'on écrit pendant que tourne le tambour des machines à laver le linge, ou que les enfants jouent au square. Celle qu'on écrit entre deux trajets à l'école, un rendez-vous chez le médecin, un job alimentaire à rendre. Celle qu'on conçoit dans l'autobus. Celle que les femmes écrivent, parce que leur cerveau, comme leur vie, fonctionne en dérivation parallèle, plusieurs pensées à la fois, plusieurs soucis, plusieurs êtres dans le cœur. Je me souviens du schéma du cours de physique qui rendait compte de ce phénomène, une histoire de résistance. La toile de sentiments mitigés et déchirants qui nous enveloppe, nous nos mères, et nos amies, nos frères et nos amants, nos enfants. Qui nous enveloppe, nous nourrit, nous exténue. Ce qui leur arrive, tous les jours, mon dieu, tous les jours, ces milliers de tragédies. Les hommes savent, depuis des millénaires, cliver et séparer, et s'occuper d'abord de leurs oignons, mais nous, qui ne le savons pas, sommes obligées de faire entrer ce capharnaüm, ce flux compliqué de pensées, et de compassion et de rage dans nos livres, et il se trouve que justement, justement, c'est cela la modernité. Ce bordel, cette complexité opaque et contradictoire rend l'écriture assertive du grand roman-monde inopportune et peut-être mensongère. On écrit, me dis-je, des histoires courtes, comme on filme en plans rapprochés, parce que le monde nous est de plus en plus incompréhensible, et simultané. L'honnêteté est la première vertu. Ecrire des histoires courtes, enfin plus ou moins courtes, rend justice à précisément de cette impuissance inquiète qui m'envahit quand je pense à mes filles.
Faut-il dater ce sentiment ? Je me souviens de mon enthousiasme quand je recopiai, il y a longtemps, les thèses sur Feuerbach : il ne s'agit plus d'interpréter le monde, il s'agit de le transformer. Nous étions bien sûrs de nous, me dis-je. Aujourd'hui, je souhaite toujours transformer le monde, mais je sais que Dieu aime les plaisanteries. Et offre parfois des épiphanies. Et aussi qu'un point mis au bon endroit peut servir de levier pour ébranler le monde.
L'affaiblissement de l'idée d'éternité, -et l'idée d'éternité va avec le sentiment de compréhension- coïncide avec le dégoût des longues tâches remarqua un jour Paul Valéry. Le roman se bat contre le temps, titan contre titan, la nouvelle est écrite en apnée. Entre deux portes qui claquent. Il y faut cependant entêtement et rigueur. Mystique et doute s'y entremêlent. Il s'agit d'attraper la vie. Ce qui exige ruse, tact, et modestie.
J'ai continué de lire. Katherine Mansfield, ses paysages fragiles, Jean Rhys la reine des sentiments fugaces et gênants, et Salinger, ce consolateur. Insensiblement ma tristesse s'était dissipée, je me mis au travail.
-Il paraît que tu écris un livre avec 365 histoires m'a demandé Tova avec curiosité.
Je me suis sentie confuse. Et effarée par ce chiffre énorme.
-J'écris une histoire par semaine, ai-je dit timidement. Ca fera plutôt 52. Pour montrer. Pour donner à voir. Ce qui grouille par en-dessous, l'univers obscur de la pensée, les fantasmes et les histoires comme des algues, ou des poissons révélés par un rayon oblique. Ce que je ne sais
pas vivre moi-même, ce que je ne sais pas que je vis.
Je me suis sentie plus solide. Les algues probablement.
-Les histoires sont toujours obliques, tu comprends.
Je ne comprenais moi-même rien à ce que je racontais.
Depuis le début de la semaine, je n'écrivais absolument rien. Depuis deux semaines, même.
On ne dira jamais combien le temps passe vite quand on n'écrit pas. Une vie, une seconde.
C'est beaucoup déjà. Une par semaine, a- t-elle dit rêveusement. Tu y arrives ? Tova est écrivain. Elle sait que l'on n'y arrive pas. L'écriture, ça vient, et puis ça s'arrête. Paf. Le bateau se heurte au sable de la plage. A sec.
Parfois j'en écris deux, ai-je dit, en rougissant, l'important c'est qu'il y en ait cinquante-deux à la fin. Pour le livre.
Je venais de comprendre ce que j'étais en train de faire. Une fresque comme celles de Carpaccio dans l'église san Giorgio de Schiavoni, un roman, comme ceux d'Ingo Schulze, par bouts et morceaux, une mosaïque.

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Résidences
  • Rencontres en milieu scolaire