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Les écrivains / adhérents

Anne-Christine Tinel

Poésie / Roman / Théâtre
photo Anne-Christine Tinel

L'écriture est pour Anne-Christine Tinel un exercice relevant de la contagion. De cette conviction vient la passion de la rencontre, qui jalonne son itinéraire : peintres, musiciens, comédiens, autant d'alliés substantiels, pour reprendre cette expression de René Char, au contact desquels prend sens le geste créatif.
C'est dans la région du Lubéron qu'Anne-Christine Tinel, membre de la SACD depuis 1996, concrétise sa vocation d'écriture pour la scène. La Compagnie Crue propose au Festival classique de Haute-Provence Dialogue parmi les eaux mortes, un opéra contemporain de David Ducros. Ce compagnonnage avec le compositeur se poursuit avec la coopérative artistique Pôle Sud, regroupant danseurs, musiciens, plasticiens, comédiens. Vent debout, opéra parlé, voit le jour à Gagny dans la région parisienne, et poursuit son chemin à la maison de la poésie à Avignon (2000). Cette pratique collective de la création se double d'un travail plus solitaire, allant du poème à des ouvrages à horizon romanesque.
Viennent ensuite sept années de vie tunisienne. Parallèlement à un enseignement de littérature et d'histoire de l'art à l'université, elle mène de front écriture théâtrale et écriture intimiste. Parmi d'autres travaux, La nouvelle gueule du loup (théâtre ; A mots découverts, 2005), La dépossession (théâtre ; Jeptav de Sousse, 2007), Tunis, par hasard (roman ; éditions Elyzad, 2008), en témoignent. Le travail qu'elle avait par ailleurs inauguré au contact de peintres et plasticiens en France se poursuit, prend d'autres formes, allant du poème à l'essai.
Depuis 2007, elle vit dans le Gers. En 2009, Les éditions Elyzad publient L'oeil postiche de la statue kongo. L'écriture pour la scène se poursuit avec La mer n'a pas d'horizon. Au printemps 2010, elle reçoit coup sur coup une bourse d'écriture du CRL, et une bourse d'écriture du CNL, pour un roman dont l'écriture est en cours.

http://www.anne-christine-tinel.com
Bibliographie

– La nouvelle gueule du loup (théâtre ; A mots découverts, 2005)
– La dépossession (théâtre ; Jeptav de Sousse, 2007)
– Tunis, par hasard (roman ; éditions Elyzad, 2008)
– L'œil postiche de la statue Kongo, roman (2009, éditions Elyzad)

Extraits

Extrait de L'oeil potiche :
Ce visage qu'ont les morts

mercredi.

Vers cinq heures, quand Odette et moi nous sommes entrées dans la maison de ma grand-mère, comme tous les mercredis, pour la petite visite, ça ne sentait pas le macchabée, mais la brioche. Histoire de faire diversion, une dernière fois.
La brioche, Odette n’y a pas touché, évidemment. Odette, je dis Odette, mais c'est ma mère.
Comme si j'allais trouver la fève, c’est moi qui l’ai mangée la brioche, toute seule, entière, exquise, à m'en faire péter la panse. Rien trouvé.
Elle l’avait fait pour nous, ce putain de gâteau.
Il faut respecter la volonté des disparus.

Nuit de mercredi à jeudi.
Collée contre Antoine. Trop chaud. Besoin de transpirer. De cet excès-là.

Je ne suis pas triste.
Quatre-vingt treize ans, un bon âge pour mourir.

N'arrête pas de me représenter ce qu'a pu être sa dernière journée.
Début d’après-midi ; il y a du vent derrière la fenêtre ; allumer le four ; farine ; beurre ; œufs ; sucre ; levure ; graines de pavot. Battre, longtemps.
Mettre au four.
Puis.
Je revois ce geste. Le même. Toujours le même.
Elle essuie ses mains après son tablier qu’elle vient de détacher, de poser sur une chaise dans la cuisine ;
c'est après ce geste. L'odeur n'a pas encore gonflé dans la maison.
C'est après.
Qu'elle est allée se coucher sur son lit pour mourir, bien tranquillement.

Ce visage qu'ont les morts. La matière surtout. La matière des morts.

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Extrait de Tunis, par hasard :
Un dimanche matin tu accompagnes ta jeune sœur follette pour un des derniers bains de la saison sur la plage d’Amilcar. Il y a trente ans, la plage était beaucoup plus large qu’aujourd’hui ; elle s’étendait loin en direction du Bou Kornine, avant que la mer ne la grignote irrémédiablement, et que la municipalité s’évertue toutes les quelques années à draguer le sable au fond de la baie pour le propulser vers la plage amputée par la force des compresseurs, en gros jets mêlés de crachats noirs et gluants, tristes déjections du va-et-vient des paquebots qui entrent à la Goulette. Au bord de l’eau tu creuses le sable et tu récoltes des coquillages. À midi, tu les regarderas s’ouvrir impudiquement sous une torsion d’ail et d’harissa.
Tu poses tes yeux sur la litanie de la mer, tandis que ta soeur s’ébroue dans les premières vagues. Sa robe colle à ses cuisses larges, et son regard est plein d’une liberté inarticulée qui te fait frémir. Sans que tu ne saches comment, une colère violente est montée en toi d’un seul coup, et tu te vois avec surprise courir et agripper cette enfant immorale et la traîner méchamment sur la plage avec la ferme intention de rentrer à la maison, sans tenir compte des vilains cris de protestation qu’elle profère. Tandis que tu la malmènes avec volupté sur le sable, et qu’elle résiste à cette injonction inhabituelle, tu rougis car tu te comprends jalouse, absurdement, de cette sourde muette aux gestes et au visage grossiers.

Tu le sais. Ce n’est pas la première fois. Tu ne comprends pas. Tu ne peux en parler à personne, même pas à Nathalie. Ta sœur est laide et handicapée ; tu es belle, intelligente, libre. Libre. Justement, peut-être pas tant que cela. Ta sœur, par la folie qu’elle s’est laissé construire à l’occasion de sa surdité, a choisi un chemin de liberté radicale ; cela tu n’en es pas capable, tu es celle qui ne peut renoncer à la civilisation. Ton ego, ton âme, soupirent après l’amour dont tu pressens la force terrifiante ; tu ne peux te résoudre à un tel renoncement. Ton esclavage, ta fragilité, viennent de ton désir d’aimer, d’être aimée. Tu regardes avec effroi l’autisme de ta sœur qui a choisi la solitude absolue. Cette liberté paradoxalement sans bornes et emmurée. Tu as envie de pleurer. Tu lâches la sœur qui aussitôt ravie, se jette tout habillée dans le grand bouillon de la mer. Tu te laisses tomber, tu fourres ton visage à même le sable, tu ouvres la bouche et le grain par milliers colle à tes lèvres, ta bouche, tes gencives, tes dents ; tu t’infliges cette dégustation indigeste comme pour te punir. Tu connais ta douleur. Je veux aimer, aimer follement ; aimer à l’échelle de la mer qui me broie d’un désir infini ; je veux être aimée ; couverte par une tendresse pareille à la tendresse dont le père de Nathalie couvre la mère de Nathalie, avec prodigalité, avec légèreté. Et tu pleures ce dimanche matin, tu pleures aussi longtemps que la sœur rit et badine avec l’écume. Tu restes là, sanglante d’amertume, desséchée sur la plage.

Lieu de vie

Occitanie, 32 - Gers

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques