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Les écrivains / adhérents

Antonin Crenn

Roman / Nouvelle
photo Antonin Crenn

Je suis né en 1988. J’ai grandi dans les Yvelines, mais aussi, un week-end sur deux, à Paris, où je vis maintenant pour de bon. À l’école Estienne, j’ai étudié la typographie dans l’idée de devenir graphiste : je me suis intéressé à la forme des lettres puis, de plus en plus, à ce que les lettres disaient sur la page. À cette époque, je commence à me promener souvent dans des plans, de Paris en particulier. C’est peut-être pour cette raison que j’entre à la mairie de Paris (comme graphiste, puis pour faire d’autres choses). En parallèle, je publie mes premiers textes courts dans des revues (Papier Machine, la Femelle du requin, la Piscine, le Cafard hérétique) et mes premiers livres, où il est question d’herbes folles (Passerage des décombres) et de souvenirs d’enfance (Les bandits). Mes sujets de prédilection sont toujours ceux-là, ainsi que la forme des villes, les ponts de chemin de fer, l’amour, et toutes les choses qui mettent plus de mille ans à disparaître.
Mon premier roman, Le héros et les autres, est un récit d’adolescence où mon personnage cherche sa place dans son environnement humain, et se promène beaucoup dans ses paysages. Cette géographie intime est également présente dans L’épaisseur du trait : plus précisément, mon personnage évolue sur le plan en deux dimensions de son quartier parisien. C’est, là aussi, une sorte de roman d’apprentissage. Je puise dans les sentiments purs de l’enfance et de l’adolescence pour animer mes personnages (une sorte de candeur et, à la fois, la violence des émotions éprouvées).
En 2019, je suis en résidence à Luçon (Vendée). J’y anime notamment des ateliers d’écriture : les participants contribuent à la constitution d’une carte du territoire, en écrivant des histoires à partir de lieux qu’ils ont choisi. Je poursuis en parallèle l’écriture d’un roman où il est aussi question de lieux et des histoires qu’ils contiennent (souvenirs, fantasmes, sentiments, imaginaire), et de ceux qui ont disparu.

https://textes.antonincrenn.com/

Bibliographie

- Passerage des décombres
Nouvelle, éditions Lunatique, 2017

- Les bandits
Album illustré par Jérôme Poloczek, éditions Lunatique, 2017

- Petit ailleurs
Nouvelle « Les étés », dans un recueil collectif de 14 nouvelles, éditions Antidata, 2017

- Le héros et les autres
Roman, éditions Lunatique, 2018

- L’épaisseur du trait
Roman, éditions Publie.net, 2019

- Ressacs
Nouvelle « Les épaules », dans un recueil collectif de 13 nouvelles, éditions Antidata, 2019

Extraits

Extrait de "Le héros et les autres"

C’est fou comme ces gens sont étrangers à Martin. Ils sont tellement éloignés de l’idée que Martin se fait d’un ami, ou même juste d’une personne intéressante, qu’il ne voit pas pour quelle raison il éprouverait le désir de parler avec eux. Il navigue entre les groupes d’un air détaché, il fait semblant d’aller d’un point à un autre. Il redoute qu’on surprenne son stratagème : si par malheur quelqu’un le suivait des yeux, il s’apercevrait facilement que Martin ne va nulle part, qu’il tourne en rond. Par chance, Martin n’a pas à craindre qu’on devine son manège ; et cette chance, c’est son malheur, parce qu’en fait personne ne le suit des yeux. Personne ne fait même attention à sa présence. Une ou deux fois, quelqu’un lui a souri. Il y a aussi quelqu’un qui a fait tinter sa bouteille contre la sienne, tout à l’heure, pendant qu’il buvait. « À la tienne », qu’il lui a dit. Martin ne sait pas qui c’est. En réalité, Martin est infiniment malheureux ce soir. Il prétend — auprès de son for intérieur — que ces gens sont des veaux. Qu’il les méprise. Mais le mépris, ce n’est vraiment pas dans son caractère, à Martin. Il est même tout le contraire de ça, Martin. Il revendique sa supériorité face au bétail qui s’agite dans la pièce — il se ment à lui-même pour se donner de l’importance —, mais en vérité il est jaloux, il voudrait comprendre pourquoi les gens se parlent alors que, lui, il n’a rien à dire. Et César, il est où ? Il n’a pas encore dit bonjour à César. C’est son hôte, tout de même. Martin sent ses tempes battre très fort. Sa cage thoracique est toute petite, il se demande comment il fait pour respirer dans un étau pareil. Il devrait partir à la recherche de César, il trouvera forcément quelque chose à lui dire. Au pire, il fera un commentaire sur la maison, il dira qu’elle est grande ou qu’elle est chouette, il lui dira merci pour l’invitation. C’est nul, mais c’est toujours ça de gagné contre le temps qui refuse de s’écouler. Le sang de Martin, en revanche, circule à toute vitesse, il fait très chaud dans ses veines. Cela doit avoir un rapport avec la pression dans sa poitrine, à cause de ses côtes qui se serrent. C’est curieux qu’il fasse si chaud à l’intérieur de Martin alors qu’il est si statique sur ses pieds désormais. Il a cessé d’aller et venir, il est une statue au milieu de ces gens qui s’affolent. Quant à César, il est invisible, il doit être occupé à la cuisine ou quelque part. Le sternum de Martin est enfoncé si profond qu’il sent son cœur palpiter jusque dans ses doigts de pied : ses jambes sont molles, il n’y a plus rien dedans, le cœur a tout pompé pour l’envoyer dans la tête. Il fait mille degrés dans la cervelle de Martin, si elle explose ce sera un beau tableau : ils seront bien obligés de se souvenir de lui. Tant pis pour César, il lui dira bonjour une autre fois. Martin se faufile entre les gens, il va prendre l’air.


Extrait de "L’épaisseur du trait"
Au débouché sur la rue de Reuilly, il prenait sur sa droite pour rentrer chez lui. C’était là que s’alignaient les petites impasses qui frottaient les unes contre les autres jusqu’à la cour Saint-Éloi. La première, l’impasse Mousset, était une énigme. On savait qu’elle existait : la question ne faisait pas débat. Peut-être était-ce une cour privée, ou bien une voie interdite ? Alexandre ne le croyait pas, car elle n’en avait pas l’allure. De l’extérieur, elle n’était pas moins avenante que sa voisine, la cour d’Alsace-Lorraine. On savait même que des gens y habitaient. C’était, somme toute, une petite rue assez ordinaire. Pourtant, quand on cherchait l’impasse Mousset sur le plan de Paris, on n’était pas toujours sûr de la trouver. Elle faisait partie de ces ruelles minuscules qu’on avait parfois négligé de figurer ou qu’on avait préféré assimiler, par malhonnêteté intellectuelle, à la voie de desserte d’une copropriété. Prétexte idéal pour s’épargner la tâche de la représenter sur le plan. Lorsqu’on tombait sur l’un de ces dessinateurs paresseux, on pouvait toujours chercher l’impasse Mousset : elle n’existait pas. Dans tous les autres guides de Paris, par bonheur, elle retrouvait la place qui lui était due.
Cette énigme était amusante en tant qu’énigme ; toutefois, pour ses habitants, elle devait être source d’une grande insécurité. Quand votre maison n’existait que par intermittences, comment faisiez-vous des projets d’avenir ? L’avenir, pour Alexandre, c’était le soir même, parfois le lendemain – rarement plus loin – mais une telle situation ne permettait même pas de se projeter jusque-là. S’il avait habité dans l’impasse Mousset, il aurait été affreusement anxieux. Même s’il n’en avait pas l’air comme ça, quand on ne le connaissait pas, Alexandre n’était pas un garçon très tranquille. Il avait besoin d’être rassuré.

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