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Pour la Mél. Témoignage de Christophe Fourvel

Voilà dix-neuf ans que jexplore un unique territoire : celui que dessinent ensemble les livres que j’écris et les ateliers d’écriture que je conduis. Cest ici que je me situe depuis 2006, dans cet arpent littéraire, social, politique et intime. Dans cet endroit qui est constitué de notre passé, de nos origines, de nos conquêtes et de nos blessures. Cet espace de l’écoute attentive de soi et de l’écoute attentive des autres. Car je crois que parmi toutes les urgences dont il nous faut impérativement avoir conscience, figure celle de trouver les mots pour entendre sa propre voix. Pour construire un libre-arbitre et une altérité. Pour s’ériger une vie privée et citoyenne qui en vaille le peine, établir des relations saines et durables avec les êtres que nous avons vraiment choisis. Je ne voudrais pas retenir un seul souvenir parmi tant de souvenirs d’ateliers, un seul visage parmi tant de visages. C’est une sorte de rhapsodie qui désormais m’accompagne, un tissage d’émotions qui me ramène dans des salles de prison, des lycées accueillants des enfants en situation de handicap, des foyers de jeunes migrants, des hôpitaux, des lycées professionnels, des groupes de femmes et d’hommes en souffrance sociale, psychologique, en manque de réponses à des questions trop lourdes. Et là, parfois, les mots qui ferment brutalement les poings deviennent plus subtils, les émotions qui serrent les mâchoires acceptent de couler à travers les phrases. Un jour, un élève exclu une semaine d’un collège est revenu, pendant cette même semaine, demandant la permission d’assister à mon dernier atelier parce qu’il avait « encore des choses à écrire ». Ailleurs, un jeune dealer voulait que je lui apprenne ce qu’était « une métaphore » et en était émerveillé. Une classe d’Erea (établissement régional denseignement adapté) qui avait une heure de libre, s’est spontanément jointe à celle qui était avec moi pour écrire. On a poussé beaucoup de tables pour faire entrer beaucoup de fauteuils roulants… Une autre fois, nous avons écrit un texte à 600 dans un lycée professionnel, chacun donnant une phrase qui parlait de lui pour cette grande œuvre collective. Mais derrière les instants qui saillent ainsi, arrachant quelque chose de plus épais au silence et à l’oubli, des milliers de visage patientent, une feuille entre les mains un peu tremblantes. Les yeux pleins de l’audace trouvée, de la timidité rompue, de la fierté d’avoir écrit quelque chose de simple, d’intime, d’important ; quelque chose de vrai. C’est là un peu de ce que je retiens de ces dix neuf années où grâce à des structures comme la Maison des Écrivains et de la Littérature, j’ai mis les mots et les heures solitaires que m’a confiés ma vie d’écrivain au service du monde dans lequel je vis. Et j’ai vu des femmes et des hommes s’étonner de voir s’étaler sous leur stylo plus de poésie ou de beauté qu’ils imaginaient posséder. Donner à connaître aux autres qui l’ignoraient, leurs expériences douloureuses ou les images précieuses de gens qu’ils aimaient. S’émerveiller un petit peu plus d’être eux-mêmes. Et je grandis avec eux. Et nous grandissons ensemble. 

Christophe Fourvel, l
e 07 avril 2025