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Les écrivains / adhérents

Hocine Tandjaoui

Poésie / Roman
photo Hocine Tandjaoui

Écrivain français né en Algérie, Hocine Tandjaoui aurait dû devenir instituteur, mais préféra devenir journaliste, lequel journalisme le poussa vers le théâtre en ses formes les plus radicales. Il devint acteur/animateur, puis administrateur du Théâtre de la Mer à Alger. En 1972, décide de « passer à l’Ouest » après une tournée de sa troupe en France pour représenter une pièce de Kateb Yacine. Il est parisien depuis plus 40 ans et compte le rester le plus longtemps possible.

Bibliographie

- Le Temps de nous-mêmes (Éditions Saint Germain des Prés, Paris 1974)
- Chants arénaires, 1976, inédit.
- Les Jours Lents (Leo Scheer, Paris, 2003),
- La Bande noire dans l’ombre (108 Édition, Paris, 2016),
- Clameur (108 Édition, Paris, 2017)
- Ainsi que tous les hommes (108 Edition, Paris 2020)
- Clamor/Clameur – édition bilingue – (Litmus Press, New York, 2021)

Extraits

La Bande noire dans l’ombre (2016)
"Si cet événement prend sens pour moi, c’est parce qu’il me lance un défi de langage et d’écriture, au-delà de l’immédiateté et de la véracité. Leurs visages me suffisent.
La diaspora n’explique rien de nos destinées. Beaucoup de diasporiques se prétendent indemnes de tout mélange, d’autres assument joyeusement tous les croisements. Notre histoire est faite de choix et de hasards. Que je me définisse comme dogon pour une part tient à l’arrivée d’un frère adopté, à la cupidité d’une marchande d’art, ma grand-mère Malka, à la colonisation, à l’inévitable cohorte de rapaces qui la peuplent, à la découverte de l’art africain, à l’amour fou d’une mère, tout ça inextricablement mêlé, de telle sorte que l’on ne peut absolument pas déterminer quel bout de ficelle permet de démêler la pelote. Cette histoire me prédispose à ne jamais m’identifier au colon s’emparant des terres par la force et justifiant sa cause par l’histoire de l’Antiquité, ou par de meilleures compétences à valoriser la terre."

"Vol de nuit vers Paris. Tranchées d’abîmes noirs d’hiver. Retour à la carte. Le losange parfait est aussi éphémère qu’une pensée. Laissez tomber la carte et la règle. C’est un rêve de caboteur phénicien. De corsaire barbaresque écumant le plus grand carrefour commercial du monde. Devant la mer de Chine sûrement. La piraterie est forcément née ici. Où aurait-elle pu naître ?"

"La mère de la victime se tient droite sur son banc. Elle a renoncé à capter leur regard. Elle regarde fixement droit devant elle. Les jurés ne cessent d’épier ses réactions. Visage d’un être détruit. Elle est tout entière à sa douleur. Impitoyable sociologie : les enfants des loges de concierge et des chambres de bonne, meurtriers de l’enfant unique d’une employée de la Sécurité sociale. La guerre des plus pauvres aux moins pauvres, aux limites du faubourg."

Clameur (2017)
« Tu te contiens, te contiens, ton corps n’est plus qu’une grenade prête à exploser, et enfin tu t’éjectes, dévales les escaliers et t’éloignes à toutes jambes aussi loin que possible du giron familial. Là, loin, loin de tous, tu hurles ta douleur, tu deviens l’enfant hurlant sa douleur, l’enfant qui crie, l’enfant hors de lui. Il a fallu que tu sois dehors, que tu trouves ton hors-là, ton désert, ailleurs, que ton espace désormais soit le hors. Hors jeu. Tu t’es éjecté du cercle, de la règle. Tu ne partages pas ta douleur… »
« Est-ce le miracle de la musique, ou faut-il dire celui de la voix humaine, la voix chantée, est-ce donc ce miracle qui fait qu’un chant, un ensemble de notes, puisse frapper une personne, de façon si juste, si précise, qu’elle en est à ce point bouleversée, qu’elle restera définitivement bouleversée sa vie durant, par ce chant-là, avec la même intensité que la première fois ? »
« Longtemps tu as pensé avoir découvert la musique grâce au fond sonore de cette rue-lupanar, avec le reste de ce qu’il y avait à apprendre et découvrir, grâce aux haut-parleurs poussés à fond des cinq cafés-brasseries…qui te dit que tu ne les entendais pas in utero, qui te dit qu’avant même ton premier souffle, tu n’en étais pas déjà imprégné ? Oui, forcément, tu étais déjà relié au monde avant de naître. L’utérus bénédiction, béni dans la plus belle des chambres d’enregistrement, le corps de ta mère, béni par un fleuve majestueux de sons et de voix. La musique et les voix t’auront mis au monde avant même que tu naisses, c’est ça ton secret : une éducation musicale intra-utérine, avant même que tes oreilles ne se forment, un héritage avant même d’exister. »

Ainsi que tous les hommes (2021)
« Tomasso est issu de cette étrange population, misérable, originaire du sud de la botte, de Sicile ou de Sardaigne, qui débarquera en vagues successives à la fin du 19ème siècle sur les rives les plus proches, parce que les pays européens devaient bien faire quelque chose de leurs pauvres, faute d’établir un début de justice sociale. Certes, ces émigrants auraient pu regarder vers les Balkans, ou vers la Grèce, mais ces pays plus familiers ne pouvaient être que des havres provisoires où se refaire, au mieux une succession de criques offrant au caboteur la possibilité d’avitailler. Quiconque choisirait ces destinations pour aller vers les Amériques serait un bien piètre navigateur. Car non seulement il ferait le choix du trajet le plus long, mais de plus encourrait le risque de mourir de faim. Il suffit d’un simple d’œil sur une carte pour comprendre que le port le plus proche du sud de la Sicile est Tunis, l’Afrique à moins d’une journée de navigation par mer favorable. « Bastava una notte », disaient-ils, « il suffit d’une nuit », surtout si on part de Trapani ou des ports du sud de l’île, et Tunis sera donc, pour beaucoup, la porte d’entrée, la terre de premier rebond pour cette Amérique follement espérée. Les bastava, c’est ainsi qu’ils se nommeront eux-mêmes, une façon de se reconnaître comme les migrants les plus proches, les plus familiers, les plus adaptés. »

« D’un commun accord, nous décidons de commencer par le portrait de Virgile, poeta di poeti, le « poète souverain » de Dante, en tout cas le plus napolitain de ceux qui ont tenté de faire revivre Carthage. C’est un pavement découvert à Sousse, datant du IIIème siècle. Virgile est représenté assis, entouré de deux muses, d’un côté Clio, détentrice de l’histoire, tenant bien en évidence un volumen, de l’autre Melpomène la chanteuse, patronne de la tragédie (et mère de Parthénope, sirène choisie comme divinité tutélaire par Naples), tenant un masque de théâtre. Le trio ne pose pas, ils ne jouent pas, les traits sont sobres et simples, et pourtant la composition possède une incroyable puissance d’évocation. Les muses entourent le poète, leur regard le pénètre, elles sont dans sa tête. Virgile tient à sa main gauche, posé sur ses genoux, un manuscrit ouvert où l’on peut lire « Muse, rappelle-moi les causes, dis-moi pour quelle atteinte à ses droits sacrés… », à partir de quoi certains archéologues ont déduit que cette mosaïque le représenterait écrivant son œuvre majeure, le sublime texte de l’Eneide. D’autres le voient écoutant les deux muses qui lui dictent ses chants. Ces lectures en font une œuvre documentaire, une simple notule dans une biographie. Lui, le regard lointain et grave, dirigé vers l’avant, vers nous, nous regardant, franchissant l’espace et le temps, témoigne de tout son corps de ce qui lui fut transmis et de ce qu’il nous a laissé. La même intensité du regard des Portraits de Fayoum. La sérénité de cette œuvre produit une sorte de fascination sur celui qui s’attarde et la fixe. C’est une allégorie qui n’appelle nul autre langage.

Puis nous nous dirigeons vers le chef d’œuvre d’entre tous, un pavement installé dans une salle de transition. Devant lequel très peu de gens s’attardent, et pourtant ses qualités, certes atténuées par une patine grise permanente, sautent aux yeux.

Une succession de vagues. Sont-elles bleues ? Vertes ? Bleu-vert ? Ou de toutes les nuances de ces couleurs ? Le bleu pour la profondeur, le vert clair pour le mouvement, le vert tirant sur le blanc pour l’écume et la crête, le mouvement mourant. Dix siècles avant Hokusai. Et ce découpage en rectangles réguliers, délimités par des lignes droites faites de fines tesselles noires, scandant l’ensemble, comme une succession de plans fixes, est d’une modernité à couper le souffle. Cette œuvre désignée comme « géométrique » par les archéologues me donne l’étrange impression de n’être qu’ondulation et frémissement. »

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

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