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Les écrivains / adhérents

Jean-Baptiste Para

Poésie / Essais
photo Jean-Baptiste Para

Jean-Baptiste Para est né en 1956. Poète et critique d’art, il est rédacteur en chef de la revue littéraire Europe. Sur les ondes de France Culture, il a animé avec André Velter une émission consacrée à la poésie. Il a traduit en français des poètes et des écrivains italiens (Camillo Sbarbaro, Giorgio Manganelli, Cristina Campo…), des poètes indiens (Nissim Ezekiel, Agha Shahid Ali…) et russes (Véra Pavlova, Nikolaï Zabolotski…). Il a préparé pour la collection Poésie / Gallimard une Anthologie de la poésie française du XXe siècle. Il a publié quatre livres de poèmes, le plus récent étant La faim des ombres (Obsidiane, Prix Apollinaire 2006). Il est l’auteur d’un essai sur Virgile intitulé Longa tibi exilia (Aencrages & Co) et d’un recueil d’essais sur la peinture et les arts plastiques : Le Jeûne des yeux et autres exercices du regard (Éditions du Rocher). Jean-Baptiste Para a collaboré à plusieurs revues (Action poétique, L’Herne, Le Mâche-Laurier, Caravanes, La Revue de Belles Lettres, Neige d’août…) et ses poèmes ont été traduits dans plusieurs langues (chinois, japonais, espagnol, italien, persan…). On lui doit également des essais sur des poètes et des écrivains contemporains (Claude Esteban, Jean-Loup Trassard, Pierre Michon, etc.). Il est lauréat du prix Laure Bataillon et du prix Nelly Sachs.

Les thèmes
Extrait d’un entretien accordé à Lucio Mariani pour la revue italienne Poesia (janvier 2007)
Poesia. — Votre poésie manifeste une prédilection pour un espace géographique et culturel qui va de l’Italie à la Russie, mais aussi de l’Iran à l’Inde. On constate également que le passé et le présent s’y entrelacent sans cesse, tout comme semblent dialoguer ensemble la clarté et l’énigme…

Jean-Baptiste Para — Il est vrai qu’à l’instar de certains poètes russes, ou du poète allemand Johannes Bobrowski, je suis enclin à me déclarer eurasien. Je suis habité par une géographie spirituelle qui ne coïncide pas nécessairement avec les frontières politiques. En tout cas, je ne me satisfais pas d’une conception de l’Europe qui reconduit, mutatis mutandis, l’ancienne séparation d’avec Byzance. Cette séparation ne nous a pas seulement coupés de Byzance, mais aussi, pendant trop longtemps, des mondes avec lesquels Byzance était en contact. L’Europe est un triangle, mais on ne sait pas exactement où placer le troisième côté. Cette incertitude est une chance. Pour moi, ne serait-ce qu’en matière de poésie, c’est un espace immense qui s’ouvre du côté de l’Orient.
Comme pour l’espace, il est vrai que dans mes poèmes les frontières entre le passé et le présent sont très poreuses. Mais d’une part, je considère que le poète n’est pas seulement le contemporain de son époque : il est le contemporain de la nuit des temps. D’autre part, je constate qu’aujourd’hui les modes de production et de consommation tendent à enfermer les hommes dans un présent de plus en plus étroit, sans horizon d’antériorité ni ouverture aux courants d’air de l’avenir. À propos de ce nouveau régime d’historicité, François Hartog a pu parler de présentisme. Je ressens notre époque comme soumise à la tyrannie du présent, non pas comme accès à la plénitude du moment, et même pas comme forme dégradée du carpe diem, mais comme terrible atrophie de notre sentiment du temps. Là aussi, la poésie m’apparaît comme un possible contre-feu : en ce domaine, ce qui m’anime est sans doute le désir de rouvrir le temps, de le dilater, de sentir ses strates anciennes et d’entrevoir ses terres vierges. En outre, la poésie m’apparaît comme une voie d’accès laïque au sens profond de la communion des vivants et des morts.
En ce qui concerne enfin les jeux entre la transparence et l’opacité, je dirai que l’essentiel tient pour moi à l’authenticité de ces deux états de la parole, à leur aptitude à nous troubler et à nous émouvoir. Notre être n’a pas tout entier son siège dans l’entendement immédiat. La durée d’intérêt d’une œuvre tient aussi à ce qu’il y a en elle d’inexplicable. Mais inexplicable ne signifie pas incompréhensible, comme le notait Pierre Reverdy. Bien souvent, c’est notre vie même qui développe le sens d’un poème — comme, hier encore, dans la chambre noire, on développait le négatif d’une photo. On pourrait d’ailleurs inverser la proposition : c’est le poème qui développe notre vie. Pour désigner le volume liquide que déplace un navire, les marins parlent de tirant d’eau. La poésie a un tirant d’ombre. Mais que de lumière à sa proue ! Quant à la question de la compréhension, quand elle se pose, si des enfants par exemple me la posent, je leur offre ces mots d’un poète que j’aime entre tous, Velimir Khlebnikov : « Est-ce que la terre comprend les signes des graines que le laboureur jette en son sein ? Non. Néanmoins, la moisson du champ est une réponse à ces graines. » L’énergie du poème circule entre clarté et énigme.

Extraits

Trois frères

Mon premier frère est sorti.
Dans le grain répandu,
dans sa tristesse indéchiffrable,
il a lu les noms d’une dynastie.
Il a gravé le sien sur l’arbre qui grandit.

Mon autre frère est resté sur le seuil,
le cœur percé d’une corne de froid.

Pour moi,
le silence et la voix
se sont aimés
comme la braise et l’encens
dans un poème qui dure
le temps que la pluie cesse.

De jour en jour les orties gagnent.
Tout scintille dans la paume du monde.
SVIATKI

On peut cacher un roi de carreau, un roi de cœur sous l’oreiller.
On peut éteindre la lampe et penser à tous les fiancés possibles.
On peut couvrir d’un mouchoir l’anneau de cuivre, le crochet de paille et le pain.
On peut lancer sa chaussure au fond du jardin.
On peut écrire des vœux au bord de la bassine
où flotte une chandelle dans sa coquille de noix.
Un petit papier blanc qui brûle : mouillez vos lèvres de vin.
On peut marquer les oignons et les mettre en terre.
Les brides mouillées sentent le jonc et la prêle.
La nuit est plus noire qu’un sac de crin.
On peut servir le thé et faire ombre commune.
On peut épeler trois noms jusqu’au sang.
Un dé brille au doigt de la vieille qui dort avec son coq.
Le ciel tisse les jours sans aiguille ni soie.
Ces roses dans le vase semblent mourir pour leur pays.


Voleur de nids

L’herbe casse sous le gel.
On entend piailler dans leurs poches de petits choucas.
Quand la mère les surprend, ils ont des yeux de génisse étonnée.
On aimerait respirer sur leur peau l’odeur du jeune fenouil.
Ils ont grimpé là-haut, persuadés que les marches disparaissent
derrière celui qui les gravit.

Ma bibliothèque

Virgile, Pouchkine, Velimir Khlebnikov et les avant-gardes russes, la littérature russe en général, la littérature italienne…

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris

Types d'interventions
  • Rencontres et lectures publiques
  • Rencontres en milieu universitaire
  • Ateliers / rencontres autres publics
  • Rencontres en milieu scolaire