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Les écrivains / adhérents

Émilie Talon

photo Émilie Talon

Née au creux des Alpes, Émilie Talon est d’emblée happée par les lointains géographiques et littéraires auxquels l’ouvre une famille éclatée, de l’Iran à l’Amérique. Après des études littéraires, elle a un parcours éclectique. Cavalière, enseignante, gardienne de refuge, agent de service hospitalier, correspondante pour la presse... elle cultive dans chacune de ses expériences une dimension poétique qui se trouve d’abord écrite sous forme de fragments épars. Puis son travail d’écriture se structure, qu’il s’oriente du côté de la fiction ou du récit, de la littérature jeunesse ou de celle des adultes.
Elle s’immerge également dans le texte des autres, faisant son miel de tout ce qui touche au livre et à l’écrit. Convaincue que son travail de correctrice contribue à faire briller le texte en le peaufinant discrètement, elle le pratique encore régulièrement, auprès de différentes maisons d’édition. De ce labeur, elle tire moult enseignements pour sa propre pratique. Par ailleurs, ses interventions en tant qu’animatrice d’ateliers d’écriture (formée, notamment, au sein du master Métiers de l’écriture de Toulouse) lui offrent une confrontation non moins formatrice aux textes d’autrui. Enfin, rédactrice dans la presse régionale et spécialisée, elle a acquis l’habitude de resserrer son texte sur l’essentiel et le plus mordant. Dans ses écritures au long cours, elle goûte ainsi pleinement au plaisir de l’écriture qui se déploie, sans rien perdre de son exigence.
Son travail créatif l’amène à explorer un territoire qui s’étend entre le pôle de l’intime – les lieux où s’ancre le quotidien et où évolue le corps, physique et émotionnel, les rapports entre les êtres, leurs paysages intérieurs et leurs environnements immédiats – et l’appel du Grand Dehors – les lointains dont elle s’est nourrie, du finistère portugais au cap tunisien, en passant par l’Orient et la haute montagne des songes. Le geste qui soigne (dans le contexte hospitalier), la relation à l’animal (réel et symbolique), l’art et la famille font également partie de ses obsessions qu’elle décline dans des textes dont la musicalité demeure l’exigence première.

Bibliographie

- Tourterelles, éditions Orso, 2021
Roman illustré (8-12 ans), Tourterelles se veut une ode à la liberté à l’âge où on l’aborde encore avec toute sa fraîcheur : un grand-père qui s’éteint, un oiseau qui s’envole… Tourterelles est aussi une histoire d’amitié, de toutes les amitiés possibles : avec l’amie « à la vie à la mort », avec le vieux poète qui ne peut pas tellement bouger davantage que l'albatros à terre de Baudelaire, avec l’infirmière et avec Jonathan Livingstone le goéland, etc.

- Iran, La paupière du jour, éditions Elytis, 2021
Récit de voyage littéraire, regard sensible posé sur l’Iran intime, celui où se mêlent les histoires d’adolescentes amoureuses et où la vie avance en dépit des vents parfois hostiles, La Paupière du jour est une immersion dans la vie quotidienne iranienne, dans la famille de l’autrice qui vit sur des terres à mi-chemin de la réalité et de la légende.

- Vertiges persans, éditions Guérin/Paulsen, 2023
Récit de montagne littéraire, Vertiges persans relate à la fois « l’expédition des Stéphanois au Caucase Sud » en 1956, menée par le père de l’autrice, et le périple de cette dernière à l’été 2021. Dans les pas d’alpinistes disparus, Émilie Talon chemine et grimpe aux côtés d’une jeune Iranienne guide de haute montagne, Zohre, un personnage éminemment romanesque. Les deux voyages s’entrelacent intimement : Vertiges persans est aussi une ascension de la mémoire.

- Médailles et légendes, (co-autrice), auto-édition de la Compagnie des guides de Chamonix, 2021

- Chaîne des Puys, rando à pied, éd. Chamina, 2023

- Les 30 plus beaux sentiers de Corrèze, éd. Chamina, 2023

Extraits

Iran, La paupière du jour, « Sous le plaqueminier »
Nous entrons dans l’eau chacune à notre tour, ma cousine, ma tante et moi : la piscine est trop petite pour que nous y nagions ensemble. Nous succédant, nous nous observons. Assise sous l’arbre, on peut suivre celle qui précède, un tour de piscine après l’autre. Le regard est happé, entraîné par cette Révolution fascinante. La piscine finit par ressembler à une ellipse.
Chaque jour, ma tante Fabienne commence à nager aux premiers frémissements de l’eau du riz, elle s’exclame : « Azizam, je vais dans l’eau ! » Mansour, mon oncle, rapplique dans la cuisine : « Oui, oui, chhhh... » Il a la BBC ou France Info dans l’oreille, crachotées par une très petite radio, un modèle que je n’ai jamais vu en France, un objet coréen peut-être. Sa femme glisse joyeusement à travers la maison puis la cour, dans un épais peignoir de bain dont elle ne se défait qu’un instant avant de descendre l’échelle de la piscine, les murs sont hauts mais les immeubles aussi et la cour est ouverte sur le Ciel. Elle nagera jusqu’à ce que les grains de riz soient moelleux et leur lit de pommes de terre croustillant – Mansour s’exclamant alors à son tour : « Faby, il n’y a plus d’eau ! »
Je suis assise dans l’ombre, j’entends la respiration de ma tante, profonde. Sa piscine est minuscule : deux brasses coulées dans la longueur, une brasse coulée dans la largeur. Elle tourne quarante fois dans un sens, quarante dans l’autre. L’eau clapote sous la margelle où s’accumulent des fragments de feuilles de l’arbre à kakis et quelques insectes. Quatre-vingts tours chaque jour de l’été, généralement long et caniculaire : un voyage quotidien, aquatique, intérieur. Une échappée, me dis-je en voyant la forme qui tourne, une ondine, le flanc ployé, qui tourne inlassablement, qui tourne comme autour d’un puits. C’est un forage. Moi-même, quand je lui succède, après m’être étourdie à force de souffler sous l’eau, j’en sors ruisselante de nouvelles idées.
Ma tante inspire bruyamment, puis replonge, inspire et replonge, inspire, replonge.
D’où lui vient cette abnégation, cette pugnacité ? Comment peut-elle chaque jour de chaque été depuis qu’elle vit ici s’enfoncer avec la même fougue dans la même eau ?

Tourterelles, « L’aile de la nuit »
À quoi vous pensez avant de dormir ? Quand vous n’y arrivez pas ?
Ma mère dit de compter les moutons. Tante Jeanne préconise d’inviter le marchand de sable. Je les implore tous, ensemble. En fait, je vois le marchand de sable comme le berger des moutons.
Je n’arrive pas à dormir. Mes moutons font du rodéo dans le noir. Le marchand de sable porte un chapeau de cow-boy. La nuit est sauvage. Je ne me sens pas à l’abri.
Je me lève. J’ouvre et je referme ma porte. Je vérifie qu’elle est fermée.
J’ouvre encore une fois, je vois une raie de lumière sous la porte de la chambre de ma mère. En tendant l’oreille, j’entends qu’elle parle au téléphone. Peut-être qu’elle raconte à tante Jeanne que je suis entrée dans la volière. Comme un gros oiseau, j’étais comme un gros oiseau. Accroupie comme un canard.
C’est là que j’ai compris que je n’aimerais pas habiter là si j’étais une tourterelle.
Je rentre dans ma chambre et je vais à la fenêtre. Je vais ouvrir les volets tout doucement pour pouvoir voir le ciel. La poignée de la fenêtre ne fait pas de bruit du tout. Mais le volet… Il racle un peu le bord de la fenêtre. J’essaie de le soulever en le poussant. C’est passé, le froid me pique. Et j’entends le hululement d’une chouette étonnée. J’attache vite le volet pour qu’il ne batte pas s’il y a du vent. Je peux voir le ciel quand je veux, il me suffit d’ouvrir les yeux.
Je m’assois dans mon lit. Je fixe la fenêtre. Le ciel s’éclaircit. De moins en moins noir, il bleuit, parce que mon regard s’habitue.
Océane doit encore passer deux nuits chez sa mère. Pierre l’attend, son poney l’attend, je l’attends. Océane est attendue, même Monsieur Swann m’a demandé où elle était.
Les tourterelles ne l’attendent pas.
Je respire bien fort. Tout à l’heure, avant d’aller à la supérette, j’ai couru à l’hôpital et j’ai ouvert la porte de la volière.
Derrière la fenêtre, le paysage est plongé dans l’obscurité transparente. Piquée d’étoiles. J’espère voir le vol des tourterelles qui traversent, des oiseaux dessinés sur l’aile bleue de la nuit. Comme sur la couverture de Jonathan Livingstone, le goéland. Maman m’avait fait lire la citation au dos du livre : « Nous sommes libres d’aller où bon nous semble et d’être ce que nous sommes. »

Vertiges persans, « Les avalanches »
« Nous sommes deux avalanches, la pente de pierre descend en même temps que nous, dans une fumée grise, jaune ; nous glissons, poussières. Nous déshabillons la montagne de sa parure de roches brisées. Nous sommes deux femmes devenues avalanches, glissements.
Comme elle me l’a demandé, je me tiens tout près derrière Zohre, ainsi les pierres que je déloge en déboulant ne prennent pas trop de vitesse avant d’atteindre ses chevilles. De loin en loin, nous nous arrêtons, le pied enfoncé dans la pente, enracinées dans la montagne dégringolante. Zohre se tourne alors, me sourit, elle m’appelle Miel, Honey. Nous rions même, nous conjurons la petite peur et les injonctions à la prudence de nos pères, que nous percevons sans avoir besoin de les entendre. Dans la montagne, ne retentit que l’écho des pierres qui chutent libres, éclatent ou se replantent plus loin comme un poignard jeté dans la terre meuble.
[…]
Dans les pas de Zohre, je marche sur les traces de mon père. Je ne me fraie pas seulement un chemin dans la montagne, je descends et je remonte le long d’un fil ténu. Je dévale derrière Zohre et je le cherche lui. Mon père. Il est venu par ici. Tandis qu’il descendait du Trône, il y a soixante-dix ans, la neige couvrait tous ces versants. C’était en 1956, il avait 27 ans, il bras- sait la neige. Plus tard, je suis née, en 1982. Il est mort en 1992. Il s’appelait Émile, on l’appelait Milou, je m’appelle Émilie. Il m’a appelée Émilie. Cela fait trente ans qu’il n’est plus de ce monde et je marche sur ses traces sous les pas de Zohre. J’ai fouillé ses papiers, ses pitons, j’ai interrogé ses témoins, sa jeunesse, je questionne mes souvenirs, mon enfance, je le cherche sur la montagne et dans ma mémoire. »

Ma bibliothèque

En littérature générale :
Les Identités meurtrières, Amin Maalouf
Lignes de faille, Nancy Houston
Naissance d’un pont, Maylis de Kerangal
Boussole, Matthias Enart
Les Racines du ciel, Romain Gary
Regain, Jean Giono

En littérature de voyage et de montagne :
Croire aux fauves, Nastassja Martin
Au milieu de l’été, un invincible hiver, Virginie Troussier

En littérature jeunesse :
Œil de tigre, Judy Blum
Fifi Brindacier, Astrid Lindgren

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