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Les écrivains / adhérents

Brigitte Brami

Poésie / Roman / Essais
photo Brigitte Brami

Brigitte Brami est née en 1964, à Tunis et vit à Paris.
Après la publication d’un recueil de poèmes à l’âge de 20 ans: La Lune verte (éditions Saint Germain des près, 1984), puis l’obtention d’un Diplôme d’Études Approfondies (Master 2) en arts du spectacle, et des études doctorales en littérature et civilisation françaises.
Spécialiste de Jean Genet, elle a été la première assistante de la Commissaire Marie Redonnet lors une exposition organisée par le Service de Coopération Culturelle français et l’ambassade de France au Maroc sur Jean Genet au Maroc : Jean Genet et le Monde Arabe, l'auteure s’est ensuite fait remarquer, en 2011, par le succès en librairie d’un petit livre relatant sa première incarcération à Fleury-Mérogis La Prison ruinée (Indigène édition, 2011). C’est lors de sa deuxième incarcération à la Maison d 'Arrêt des Femmes qu’elle a finalisé les corrections de Miracle de Jean Genet (L’Harmattan, coll. "L'écarlate", 2015). Elle a également contribué à Des Solitudes – Actes du Forum du 6 décembre 2011 coordonnés par Maudy Piot, association FDFA, Editions l’Harmattan, 2013-, et à Du Corps imaginaire à la singularité du corps, Actes du Colloque du 11 avril 2015 coordonnés par Maudy Piot, association FDFA, Editions l’Harmattan, 2016, et a écrit plusieurs articles dans diverses revues, notamment dans Le Passe-Muraille : Thérèse est décédée (2014). Enfin, Brigitte Brami est en train de terminer d’écrire la suite de La Prison ruinée qui racontera sa cavale entre 2009 et 2010 dans un Paris interlope.

Bibliographie

– Miracle de Jean Genet, L’Harmattan, coll. "L'écarlate", 2015, Études/Essais.
– La Prison ruinée, Indigène édition, 2011, Essai/Sociologie.
– La Lune verte, Éditions Saint Germain des près, 1984,Poésies.

Extraits

"Il faudrait préciser en exergue que l’on butera toujours sur le noyau irréductible de ses textes. Il faudrait invariablement commencer par dire que tenter de mettre en examen un homme – dont la poésie a elle-même su déjouer les mécanismes très complexes du pouvoir, et des pouvoirs, jusqu’à créer en miroir une imposture certes, mais une imposture poétique : celle d’une nouvelle langue qui invente divinement un nouveau monde – est chose aporétique. Il faudrait aussi rassurer, ou plutôt inquiéter, les esprits avides de nouvelles théories : l’approche systématique qui essaierait d’analyser le fonctionnement de la littérature genetienne ne peut-être que spéculative, voire spécieuse. Genet se lit avec un engagement physique – j’allais écrire « viscéral » –, il se lit avec l’acceptation d’un ébranlement du corps et de la raison, ou il ne lit pas. Tout commentaire sur un livre, une œuvre d’art, un film, est par définition une tromperie. Le seul commentaire possible et honnête est de répondre par un autre livre, une autre production artistique, un film différent, etc. mais non pas en dessous ni au dessus de la production dont il est question mais à ses côtés".
Miracle de Jean Genet, page 15.


De sacrés dimanches
L’été, à la MAF, et même dès le début du printemps, la chaleur est intense. Les cours de promenade se transforment en plages, et les détenues aux seins dénudés s’allongent sur l’herbe en enduisant leurs corps respectifs, caramélisés par le soleil, d’huile d’amande douce.
Leurs muscles sont relâchés par une défonce tranquille – cocktail de psychotropes, de traitements substitutifs à l’héroïne et de cannabis –. Plongées dans une espèce de faux sommeil, ces filles lascives s’enfoncent dans leur drap de bain moelleux, sorti à l’occasion avec un polar qu’elles n’auront pas la force mentale d’ouvrir. Une très coquette et très plantureuse conseillère municipale d’une cinquantaine d’années, atterrie ici pour abus de biens sociaux, fait circuler son brumisateur aux magiques gouttelettes.
Les filles noires se protègent du soleil sous les arbres.
Une jeune Africaine de 19 ans se livre à un happening. Elle interpelle les promeneuses et déclame, avec une simplicité et un naturel bouleversants, des phrases qu’elle peine à articulées correctement :
"Ils nous ont arrêtées. Ils nous ont jugées. Ils ont refermé derrière nous leurs lourdes portes. Ils ont resserré notre espace. Mais il y a une chose dont ils sont incapables : c’est arrêter le temps dont le passage nous délivrera tôt ou tard."
A peine écoutai-je ces paroles que, comme Genet quand il découvrit la première ligne de La Recherche du temps perdu, je sus qu’à entendre ces femmes, j’irais de merveille en merveille.
Le dimanche est aussi sacré, parce que les pique-niques y sont permis, on ne saurait ainsi y déroger. Les détenues rivalisent en mets faits "maison" et c’est là, pendant la promenade, plus longue ce jour là, que tout se passe.
Il se passe qu’on joue aux cartes, qu’on fête de futures libérations, dans une ambiance très bon enfant. Il se passe que les potins vont bon train, qu’on fait également du bizness – c'est-à-dire des échanges de tabac contre du Subutex ou des vêtements, par exemple. Il se passe surtout que les amitiés et les amours naissent ou se confirment. Il se passe alors qu’on s’enlace, qu’on se câline, et que l’on marche, détenues, oui, mais surtout détendues et main dans la main.
On l’a dit plus haut : les bagarres font aussi partie de ces après-midi. Les esprits s’échauffent. Des bandes rivales se remémorent d’anciens conflits dans un climat hautement belliqueux ; les filles arrivent de toute la cour de promenade pour participer aux règlements de compte ; les spectatrices sont nombreuses et encerclent les principales adversaires. Il arrive que pour un vêtement qui n’a pas été rendu à temps, une photo qu’il faut venger, ou tout simplement à cause du soleil qui tape trop fort, un seul geste provoque en quelques secondes une mêlée digne de celles d’Astérix le Gaulois...
Voilà comment vivent ces prisonnières qui font autant peur que jouir ceux qui les condamnent moralement. Les filles de Fleury Mérogis sont les filles à la beauté cabossée, irrésistible parce que singulière, dont les bourgeois rêvent sans jamais oser les rencontrer. Le bourgeois les aime, qu’il l’admette ou non. Il paye afin de pouvoir les regarder, il les admire, et les a désirées…au cinéma. Ces très jolies filles qui n’ont peur de rien, et qui, une fois libérées, bravent la nuit, un grand couteau dans leur petit sac – rempli de préservatifs – ou dans leurs longues bottes, qui dorment dans les rues, s’enivrent, volent, fument du crack, se prostituent à l’occasion, tuent aussi parfois, ce sont les héroïnes que les bourgeois recherchent dans la littérature ou sur leurs écrans, mais fuient ou ne leur accordent que pitié – cette fameuse pitié aristotélicienne conjuguée à la crainte qui toutes deux font partie du phénomène cathartique – quand ils les croisent dans la réalité.
Mais elles, les filles de Fleury Mérogis se fichent des bourgeois, elles n’en ont besoin ni pour jouir ni pour vivre. Leur manque à elles, il est de l’ordre du matériel, tandis que celui des bourgeois est de l’ordre de l’existentiel – de ce qu’ils n’ont pas réussi à vivre – la seule chose qui pourrait donc arriver, c’est qu’elles leur prennent leur argent. Contre peut-être leur corps, mais elles resteront intactes dans leur intégrité, car "les gens normaux" – ou plutôt normés – ne les intéressent pas, tandis qu’eux restent fascinés par elles, dans une dynamique d’attirance répulsion.
Ces filles, rencontrées dans ma petite culture cinématographique, je les ai reconnues et retrouvées là-bas, dans la cour de promenade de la MAF.
"Fin de promenade" crie la surveillante à son micro. Et les paroles, les rires, les amours et les déclarations de guerre s’épuisent, et tout finit par se calmer, car il faut regagner sa cellule.
On se rhabille. On ramasse en vitesse les détritus et on les jette dans l’unique poubelle de la cour. On a passé un détestable ou un excellent dimanche, mais il fut attendu dès le lundi et il nourrira les conversations tout le reste de la semaine.
"Regarde, regarde bien tout ça une dernière fois ! " Lâche une détenue à une autre, libérable le lendemain matin. Et l’autre promène avec nostalgie son regard autour d’elle, et son cœur sort de sa bouche pour crier doucement : "c’est donc déjà fini…".

La Prison ruinée, Indigène édition, 2011

Lieu de vie

Île-de-France, 75 - Paris