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Madi Seydi
RomanMadi Seydi naît à Paris et grandi en Seine-Saint-Denis avant d’aller vivre au Sénégal, pays de la Teranga qu’elle ne connaissait qu’à travers les dires de ses parents. C’est donc une adolescente de 14 ans qui débarque à Dakar et se trouve confrontée à la réalité africaine. Ce qu’il y a de plus beau à savoir les grandes tablées familiales, les femmes courage, la solidarité, les nouveaux codes sociaux mais aussi le côté moins rêvé d’une Afrique où la classe moyenne n’existe pas. Une Afrique où les très aisés et les pauvres se dépassent sans jamais vraiment se rencontrer. De son expérience africaine, Madi sortira grandie, enrichie d’une âme militante qui expliquera ses futurs engagements associatifs et politiques. D’ailleurs, elle prendra soin de noter dans son carnet toute les étapes marquantes de sa vie au Sénégal. Elle notera, elle questionnera, elle écrira et gardera bien précieusement ce qui par ailleurs nourrira son premier ouvrage. Timorée, taiseuse, les livres seront de véritables alliés d’une adolescence sans bruit.
À Paris, entre vie étudiante (elle va poursuivre des études de droit public avant de se spécialiser dans la communication) et vie militante, Madi restera ancrée dans sa double culture dont elle à fait une force. Passionnée de politique, elle sera syndicaliste étudiante puis porte-parole du mouvement jeune de ce qui était alors le plus grand parti politique de France. De l’écriture, elle ne s’en éloignera jamais vraiment puisqu’elle rêve secrètement de conter un jour l’histoire de sa famille alors elle écrit chaque soir pendant ses insomnies. Ce sera la naissance de son premier ouvrage Française, venue d’ailleurs (Éditions Stock).
Aujourd’hui, directrice conseil en communication d’influence, Madi habite Paris et demeure engagée au service des causes justes.
Bibliographie
– Française venue d’ailleurs, éditions Stock , 2022 – Roman
Extraits
À l’origine, il y a cette photo, extraite d’un vieil album de mes parents ayant traversé les décennies et même les continents. C’est un cliché que la lumière du temps a jauni et rosi. C’est un portrait de moi, le premier qui apparaît vraiment en phase avec ce que je suis, ce que je prétends être devenue. Ici, je me reconnais, moi, Madi, pour la première fois. J’ai quatre ans, peut-être cinq, et je me tiens debout, entourée d’autres petits enfants, les deux mains fermement appuyées sur la taille. En légère contre-plongée je contemple mon monde. Je porte mes légendaires bottes Aigle en plastique bleu, une paire que j’avais aux pieds quels que soient le temps ou la saison, et que je m’acharnais obstinément à chausser malgré les soupirs et les yeux au ciel de ma mère. Je porte aussi – et c’est amusant – une toque en papier, un accessoire de cuisinier, une pièce de déguisement, mais je me rappelle que j’avais appelé cette toque « ma couronne », comme pour réaffirmer mon appartenance à l’empire mandingue, ce peuple africain auquel est rattachée ma famille.
C’est déjà moi, ce petit bout de fillette. Timide, introvertie, mais franchement décidée. Et aussi, heureuse de faire partie d’une équipe, d’être là dans le groupe. Double inclination qui vous pousse à la fois à la distance et à la réflexion, à se lier d’amitié, à vouloir faire bouger les lignes. Depuis, les traits se sont affirmés, mais c’est toujours le même visage et la même attitude. Je suis quadragénaire aujourd’hui. Vous me direz, bien sûr, qu’il est trop tôt pour rédiger des mémoires. N’est-ce pas justement encore assez jeune pour comprendre et toucher ceux qui sont venus après moi ? Pour témoigner de ce qui a bougé en si peu de temps, il faut en avoir gardé un vif souvenir, le goût d’un bonheur encore dans la bouche, ce goût à la fois vivant et regretté. Ce livre de témoignage, je ne voudrais pas non plus l’écrire sans regarder l’avenir, car mon avenir à moi est lié à l’avenir de mes contemporains. Mon récit est celui de la trajectoire d’une Française de double nationalité à un tournant de siècle. Il charrie les interrogations d’une enfant, d’une ado, d’une femme de notre époque. Il voudra également tenter d’élucider nos interrogations communes : qu’est-ce que c’est, être français ? Qu’est-ce qu’être une femme libre ? Qu’est-ce qu’avoir des racines en Afrique ? De quelle manière peut-on se rendre utile ? à qui ? pourquoi ?
Mais revenons un moment à cette photographie. Sur mon visage s’affirme déjà un tempérament de cheffe. Voulais-je alors « cheffer », comme le disait Jacques Chirac ? Protéger, peut-être bien. Rendre la justice, absolument. J’ai quatre ans et l’air de dire, dans cette cour d’école maternelle où a probablement été prise cette photographie : « Attention, les méchants, je suis là, et si vous embêtez mes copines, vous aurez affaire à moi. » Un peu plus tard, j’ai eu une bonne camarade de récré. Elle s’appelait Laëtitia. Elle n’était pas dans ma classe, mais nous nous retrouvions pour jouer. Peu liante en apparence, tout juste arrivée à Aulnay avec sa mère, Laëtitia peinait à s’intégrer à l’école. Alors, aussi misérable que cela puisse paraître, elle tentait d’acheter l’amitié des autres en leur donnant des bonbons ou des autocollants – les fameux Panini à collectionner, qu’on allait tous acheter chez le marchand de journaux pour les coller dans des albums. Beaucoup d’enfants ne rechignaient pas devant ce qui s’apparentait à de la corruption : ils se servaient allègrement dans les poches, dans les mains de Laëtitia, sans pour autant accorder à cette petite fille la moindre importance ou une marque de sympathie. Cela n’arrangeait donc rien : Laëtitia restait seule. On la méprisait ; on la chahutait aussi ; on la tapait enfin. La faiblesse inspire la haine. Pauvre gamine.
C’est un après-midi ordinaire à l’école des Petits-Ormes d’Aulnay-sous-Bois. La sonnerie de la récré a retenti, tout le monde est dans la cour. J’arrive à mon tour et j’observe, autour de mon amie, un attroupement. On s’agite, on rigole. Ça m’inquiète. J’essaye de voir ce qui se passe, ou plutôt non : je rue dans les brancards. J’arrive comme une lionne, je bouscule les enfants pour pénétrer dans le cercle, Laëtitia est par terre, elle pleure. La fillette lève les yeux et m’aperçoit. Elle me raconte qu’elle vient de recevoir des coups de pied.
– Et qui est-ce qui t’a fait ça ?
– C’est Jaoued.
Laëtitia me le montre du doigt. J’enchaîne :
– Allez, viens avec moi, on va lui dire deux mots à celui-là.
Hier comme aujourd’hui, la meilleure manière de me faire sortir de moi-même est évidemment de s’en prendre aux miens. Je sens que Laëtitia se crispe, qu’elle refuse d’avancer. Sa main glisse, tente de se détacher de la mienne. Je suis interloquée, puis je finis par l’admettre : il est beaucoup plus facile pour moi, avec ma bouille de combattante, d’affronter ce garçon, que pour Laëtitia, trop émotive, trop humiliée, surtout, par la situation. J’insiste pourtant. Après tout, elle n’est plus seule. Si ce fameux Jaoued s’est comporté comme ça, c’est qu’il lui a fait admettre sa supériorité, et c’est ce qui me reste en travers de la gorge. Cette scène, je l’ai vécue il y a bien longtemps, mais le sentiment ne bouge pas : il me faut absolument mettre un terme à cet abus de pouvoir et à cette impunité, comme si sur le moment ma vie, ma fierté en dépendaient. J’ai ressenti cela de nombreuses fois par la suite devant des situations arbitraires. Ce sentiment m’a poussée à agir, à grandir, à bâtir, à militer, à vivre.
En attendant, ce Jaoued, je vais lui donner une bonne leçon. Laëtitia est pétrifiée, je suis peut-être irresponsable, peut-être qu’à mon tour je vais être molestée ou bien amochée, mais c’est plus fort que moi, j’ai envie d’en découdre. Quand nous arrivons devant lui, je suis un véritable un char d’assaut. Bras croisé, regard de fer, j’articule distinctement :
– Dis donc, c’est toi qui tapes mes amies comme ça ? Ça va pas la tête, tu te prends pour qui ? Si tu veux te battre, si t’as le courage de venir te battre, je suis prête, alors viens !
Mutisme de Jaoued, je n’en crois pas mes yeux – mes yeux qui jugent et cherchent à en imposer. En face de moi, affaissé contre le muret, Jaoued ne trouve rien à dire, rien à faire et, même, il baisse le regard. Alors que Laëtitia se tient derrière moi sans oser avancer, j’enfonce le clou. Victoire par KO.
– J’en étais sûre, au fond t’es vraiment un trouillard. Tu tapes les filles gentilles, c’est trop facile, c’est minable. Tu sais quoi, je vais aller en parler moi-même au directeur. On verra si tu recommences.
Premier fait d’armes, premier coup de gueule. Première fois que je prenais la défense d’un enfant, aussi. Ce détail a son importance, je le développe dans la suite de ce livre alors qu’adolescente j’ai éprouvé la nécessité d’aider les enfants de la rue à Dakar. Drapée dans ma fierté, je célébrais mon triomphe. J’avais tenu tête à un petit caïd de l’école, jusqu’à lui inspirer de la peur. Je n’étais pas seulement Madi la timide, non, je venais d’obtenir mes galons de fille respectée. Célébration dans la cour de l’école, triomphe même, je suis devenue populaire ! À partir de ce jour-là, tout le monde a voulu être mon ami, y compris et surtout des enfants que je n’aurais jamais osé aborder spontanément et qui, de leur côté, ne m’auraient peut-être jamais intégrée dans leur groupe.
Ma bibliothèque
Le deuxième sexe, Simone de Beauvoire
Pan Tadeusz, Adam Mickiewicz
Ma vie en Islam, Souleymane Bachir Diagne
La France de la Révolution et de l’Empire, Jean Tulard
Chien blanc, Romain Gary
Le fabuleux destin de Wagrin, Amadou Hampaté Bâ
Les Petits-fils nègres de Vercingétorix, Alain Mabanckou
Le Nu perdu, René Char
Napoléon, Jacques Bainville
Fractures françaises, Christophe Guilly
Ci-gît l’amer, Cynthia Fleury
Les impatientes, Djaïli Amadou Amal
L’éducation sentimentale, Gustave Flaubert
Je vous écris tous les jours, Madame de Sévigné
Les origines du totalitarisme, Hannah Arendt
L’existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre
Les Justes, Albert Camus
Les fleurs du mal, Charles Baudelaire
Voyage dans le passé, Stefan Zweig
Le Peuple, Gérard de Nerval
• Littérature négro-africaine
Une si longue lettre, Mariama Ba
Champs d’ombre, Léopold Sedar Senghor
Négritude et humanisme, Léopold Sedar Senghor
Éthiopiques, Léopold Sedar Senghor
Mémoire des esclavages, Edouard Glissant
Cahier d’un retour au Pays natal, Aimé Césaire
Peau noire, masques blancs, Frantz Fanon
Le fabuleux destin de Wagrin, Amadou Hampaté Bâ
Les bouts de bois de Dieu, Ousmane Sembène
Le monde s’effondre, Chinua Achebe
Batouala, René Maran
Nation nègre et culture, Cheikh Anta Diop
Souffre pauvre nègre, David Diop
Allah n’est pas obligé, Amadou Kourouma
Lieu de vie
Île-de-France, 75 - Paris